Le di@ble en bouche présenté aux Bancs Publics
Corps et âmes
Basée sur un fait-divers inquiétant, la pièce de Charles Eric Petit, Le di@ble en bouche met en lumière la prédation inhérente à toute séduction, voire toute relation, qu’elle soit à consommer tout de suite ou à consumer sur toute une vie ; dès lors que l’amour ne s’y retrouve pas.
La pièce s’ouvre sur deux solitudes, dos-à-dos, les visages éclairés par un ordinateur quand le dialogue par écran interposé prend soudain chair dans les voix. De belles voix, profonde et grave pour l’une (Thomas Cérisola), naturellement autoritaire, claire et plus fragile, plus à fleur de peau pour l’autre (Guillaume Clausse). La forme et le temps imparti obligent à ramasser en quelques mots des nuits de dialogues où se tissent les liens. Entre eux, un jeu de chat et de souris : ils s’appréhendent, se sentent et définissent le yin et le yang de leur relation, ils tendent et parcourent en onanistes l’arc du désir. Outre leurs voix, très loin derrière, un tic-tac achève d’habiter l’espace et de le clore. Un tic-tac si rapide qu’il semble faire tic à chaque seconde et tac entre elles : pour l’instant ce n’est que leur angoisse ordinaire qui guide leurs actions. Puis ils pivotent sur leurs tabourets, signifiant la rencontre, les yeux débordant de gourmandise. Le temps de la rencontre est bref comme l’incision du scalpel et le festin désiré laisse le consommateur sur sa faim. Suit une énumération de faits dignes d’un rapport de médecin légiste, de la voix même du cadavre, resté seul dans l’espace scénique. Dans la pénombre, tandis qu’il s’enduit le corps d’argile, retournant ainsi à un état premier auquel il était promis (poussière tu étais…), il se livre à une incantation vaudou où l’on suit son âme dans un éther entre deux vies. Il semble habité de colère. Des mots plus ou moins avalés, venus d’ailleurs, comme projetés par une âme en souffrance et d’autres hurlés comme savent le faire les bébés viennent emplir l’espace et percuter les spectateurs. N’ayant trouvé dans l’absolu où il s’est perdu aucune trace d’amour, il laisse le public face à son interrogation : où est l’amour dans tout ça ? Dans le regard de l’auteur, certainement, qui parvient à être dérangeant sans facilités obscènes, autant que moral et juste, sur la base du seul partage de ses doutes et de sa foi. Car le diable qui donne son titre est ailleurs…
Frédéric Marty
Le di@ble en bouche était présenté du 3 au 5/06 aux Bancs Publics