Mémoires du quartier de la Cayolle 1944-2019
Urbain de foule
Une exposition au Musée d’Histoire de Marseille, des balades commentées et des projections mettent en avant l’histoire du quartier de la Cayolle dans le 9e arrondissement, celle de ses habitants et de son habitat provisoire précaire. L’occasion de parler d’histoire.
On détruit, reconstruit, déloge, reloge, requalifie, réhabilite… Derrière ce lexique éculé se dégage l’idée de faire, en mieux, un bout de ville. Faire table rase d’un passé pour requalifier l’espace public, l’habitat, voire la sociologie de ses habitants. Mais quelle mémoire entretient-on ? La quartier de la Cayolle, aujourd’hui parsemé de villas, centre commercial et résidences protégées aux portes du parc naturel des calanques, a été le témoin de l’arrivée de plusieurs générations de déracinés, dans ce qui deviendra une série de bidonvilles durant plus de trente ans. C’est qu’après la Seconde Guerre mondiale, il y a de la place à la Cayolle, et à part du maraîchage, pratiqué par des Italiens, il n’y a pas grand chose d’autre. C’est à cet endroit qu’est décidée la construction des premiers habitats provisoires et précaires (des baraquements collectifs sans eau, ni toilettes). Ils sont destinés aux prisonniers russes, tchèques et yougoslaves dans l’attente de leur échange contre des prisonniers français en 1945. L’entreprise est confiée à Fernand Pouillon, qui utilisera un matériau abondant confisqué aux Allemands : les fusées céramiques. Des espèces de bouteilles en brique qui, une fois emboîtées, forment un demi-cercle qui servira d’ossature aux baraquements des camps de Grand Aréna et Colgate (appelés aussi « Les Tonneaux » en rapport à leur forme en demi-tonneaux) (1)). Ces deux camps accueilleront ensuite des travailleurs indochinois, des juifs en transit pour Israël et des immigrés d’Afrique du Nord venus pour la reconstruction. Ils comptent jusqu’à 6 200 personnes dans les années 50 et deviennent vite des bidonvilles. L’usage de cet espace aux portes des calanques sera complété par un nouvel ensemble de bâtiment (« Les Îlots ») en 1953 afin d’accueillir les Marseillais sans logement depuis la guerre. Ils sont en préfabriqués, plus confortables que les Tonneaux mais, face à la surpopulation, finissent par ressembler à des taudis dans les années 70. En 1966, nouvelle cité plus au sud. Ce sera « Chicago », ainsi nommée par ses habitants pour la plupart venus des Tonneaux en cours de démolition. Même s’il constitue une promotion sociale, cette fois encore, le bâti de préfabriqué en tôle souffre mal les affres du temps : il sera détruit en 1980. La dernière cité provisoire sera la Mandarine, aux couleurs vives. Nous sommes en 1973, c’est dans l’air du temps. Tout aussi rudimentaire, elle n’aura qu’une décennie de durée de vie. Dans ce coin perdu de Marseille, mal desservi par les transports, les habitants se mobilisent pour alerter les pouvoirs publics sur l’insalubrité de leurs conditions de vie. Dans les années 80, les programmes de résorption de l’habitat indigne finissent de détruire les bidonvilles et planifient de nouveaux logements pérennes.
Cette histoire, presque incroyable au regard de l’urbanisation actuelle, nous est contée au Musée d’Histoire avec force d’images d’archives et photos d’époque fournies par les anciens habitants, et in situ avec les balades du Bureau des Guides animées par le truculent Nicolas Mémain : il nous emmène sur les lieux des camps, arpente collines, ronds-points et parfois, au détour d’un chantier, retrouve des vestiges. Également au menu, des conférences, les balades botaniques du collectif SAFI, celles de l’association Ancrages et enfin La coupe cayollaise, une balade-défi d’Hendrick Sturm. Pour une meilleure perception des politiques urbaines et de l’utilité du logement social.
Damien Boeuf
Mémoires du quartier de la Cayolle 1944-2019 : jusqu’au 7/06 au Musée d’Histoire de Marseille (2 Rue Henri Barbusse, 1er).
Rens. : 04 91 55 36 00
Pour en (sa)voir plus : https://ciqhautsdemazargueslacayolle.com/histoire-du-quartier
www.gr2013.fr/la-cayolle
Notes
- Histoire complète à lire dans Mémoires D’un Architecte de Fernand Pouillon (Seuil[↩]