Transit
Art-O-Rama se démarque des foires contemporaines des autres villes en décloisonnant les espaces et en proposant des œuvres de petits formats, avec un panel de jeunes galeries venues de Paris, Dijon, Saint-Paul de Vence, Bruxelles, Berlin et New York.
Le regard se plait à déambuler dans le rythme des accrochages, les interstices, les lignes d’horizon, l’espace clos. On approche de l’idée du musée éphémère, où se concentre sur trois jours une synergie, une force collective de propositions. Vouloir courtiser les collectionneurs est un exercice périlleux, parce que le collectionneur aime par-dessus tout être dérouté. Il n’attend pas de tapis rouge, il aime déambuler à l’abri des regards et prendre le temps de choisir ou de délaisser ce qui l’intrigue, ce qui le concerne.
Dans sa volonté de modestie des prix, Art-O-Rama prend le risque du tout consommable. La photographie se paie un joyeux tour de piste, parce qu’elle est la meilleure définition de l’économie des moyens. La sculpture devient une chose étrange, comme arrivée de nulle part et qui d’un seul coup prend une place immense et presque décalée. La peinture disparaît au profit de l’image électronique où le pigment est couché par le curseur de l’imprimante et le dessin choisit d’être encadré à la manière d’une petite chose fragile. On tente de trouver une corrélation entre ce qui pointe et notre époque : la crise, le renoncement, la nécessité de rester humble ? Pourtant, au début des années quatre-vingt-dix, une autre crise éminemment plus violente (la première guerre du Golfe) avait donné un souffle incomparable à l’art (le grunge, la New new painting, la photographie plasticienne, Alain Platel…). On constate à l’échelle de la mondialisation qu’en temps de crise, ce sont les valeurs refuges qui trouvent des acheteurs : le lingot d’or, la pierre, les tableaux des maîtres anciens, tout ce qui a un rapport avec le précieux et le savoir faire, avec le répertoire et la recherche de l’origine.
Dès lors, il devient évident que le spectateur se délecte devant l’œuvre de Motoi Yamamoto (présenté par la galerie parisienne L MD). L’œil suit le tracé velouté d’une traînée de sel qui parcourt l’espace dans la lenteur d’une méditation proche du deuil et du recueillement, explosant le rapport au « white cube » (l’espace de la galerie). Dans les drapeaux déchirés de Boris Chouvellon, il y a aussi un rapport immédiat avec la proximité de l’actualité et le délitement des institutions au profit d’une peur de l’étranger savamment orchestrée. Ce qui nous touche chez David Levine, c’est cette énergie folle que mettent les comédiens à interpeller les agents de leur existence et de leur envie d’y croire. Dans le Pique nique à Hanging Rock de Sandro Della Noce, ce sont les rapports de suspension et de contraste entre l’infiniment brut et le matériau manufacturé (la corde d’escalade, le brillant du mousqueton). Art-O-Rama revient de très loin. Après le décès de Roger Pailhas, c’est un champ de ruines qu’il a fallu reconstruire, des galeries qu’il a fallu convaincre, des espaces qu’il a fallu conquérir. On se réjouit de la ferveur du public et de la proximité des relations, mais on reste circonspect sur la qualité des enjeux proposés. A suivre…
Texte : Karim Grandi-Baupain
Photo : Pique nique à Hanging Rock de Sandro Della Noce
Art-O-Rama : jusqu’au 19/09 à la Cartonnerie (Friche la Belle de Mai, 41 rue Jobin/12 rue François Simon, 3e). Rens. 04 95 04 95 36 / www.art-o-rama.fr