chat © Marc Étienne

Des nouvelles de… Marc Étienne

Pendant la période de confinement, nous prenons des nouvelles d’artistes de Marseille ou d’ailleurs.

Marc Étienne est artiste, ancien résident des Ateliers de la Ville de Marseille. Il habite depuis un an et demi à Glasgow, où il poursuit sa pratique du dessin, de la sculpture et du vélo. Il nous raconte ici son dernier jogging en date.

 

Je n’ai fait qu’un seul jogging depuis qu’on reste chez nous. Ce moment a été désagréable et il l’est toujours quand j’y repense. Je n’en referai pas de sitôt. De toute façon, c’était un calvaire à partir du moment ou j’ai enfilé ma paire de Kalenji moches. C’est la paire deuxième prix de Decathlon. Elle offre un confort du pied plus qu’acceptable, mais sa trichromie, gris / bleu / vert fluo, est pénible à toucher du regard. Je les ai toujours trouvées hideuses, ces chaussures de running. Mais ça ne m’a jamais empêché de faire mes quatre tours de Queens Park deux fois par semaine en écoutant dans l’album Deux Frères de PNL (c’est mon album préféré pour courir parce que je n’ai pas besoin de penser à zapper un seul morceau, à part À l’ammoniaque, trop lent pour cette activité). Une heure de course, de Au DD à Zoulou Tchaing et je rentrais super groggy, content…

 

 

Mais ce jour-là, c’est au morceau Deux frères que je m’arrête. Ce qui veut dire 38 minutes d’effort. Je suis à bout de souffle. Les mollets et mon genou droit me font mal. « Hhh… je force trop je crois… » Forcer pour montrer aux confinés à leurs fenêtres que je ne suis pas nouveau dans ce game. Forcer pour montrer aux confinés coureurs que je ne suis pas comme eux, plus à l’aise, plus rapide, que ce n’est qu’un jogging de plus. En plus, tous les autres coureurs ont l’air stylé et à l’aise. Normal, c’est la sortie du jour, il faut en profiter.

À trop penser à mon allure et compenser mon apparent manque de goût en chaussures, mon mouvement s’alourdit, chaque nouvelle foulée est une nouvelle erreur. Je persiste parce que s’arrêter avant la fin, c’est la honte. Après une minute d’insistance, au moment où N.O.S entame son couplet, je me dis qu’il vaut mieux qu’on me prenne pour un nul que de me tordre le genou. Ce serait plus la honte de faire venir une ambulance que d’avoir l’air nul en jogging. Après tout, c’est pas safe du tout dans ce parc, il est souvent impossible de maintenir plus d’un mètre de distance avec les gens. D’ailleurs, ça fait dix minutes que je suis obligé de courir autour de l’enclos pour être sûr de respecter l’écart réglementaire. Je marche maintenant sur Queens Drive, le genou douloureux. L’endroit où j’ai stoppé mon trot n’était pas fréquenté, je ne pense pas qu’il y ait eu de témoin de cet abandon.

Malheureusement, en arrivant sur Pollockshaws Road, je croise un couple qui lui, court toujours… Ils étaient même déjà là quand j’ai commencé. J’évite leur regard en faisant semblant d’être concentré sur mon téléphone, tout en étant attentif à ce qu’ils ne s’approchent pas trop de moi. C’est dur de feindre d’ignorer deux individus en mouvement sur le même trottoir en étant focalisé à maintenir l’espace qu’on nous a indiqué aux infos. J’échoue à cet exercice en trébuchant sur le rebord du trottoir… J’ai vraiment la honte, je voudrais ne pas être habillé en coureur.

 

 

Il faut que je passe par le Sainsburys avant de rentrer pour choper quelques bananes et un sachet d’épinards. J’y prends un paquet de papier toilette aussi. Un paquet de quatre rouleaux pour ne pas qu’on pense que je panique avec le confinement. J’ai envie de me faire une attestation stipulant que je n’ai juste plus de papier toilette à la maison. Je me dirige au rayon des bières. Qui est vide. Il reste quatre bouteilles de cidre, quelques bières chères ou sans alcool. « OK tant pis », je me résigne à prendre ces quatre bières IPA à trois pounds l’unité, mais le caissier m’arrête dans mon élan et me dit que les articles d’alcool sont limités à deux par client. « Il faut en laisser pour tout le monde », me dit-il. « OK j’en prendrai que deux alors. » « OK, prenez soin de vous », conclue-t-il…

On a donc droit à une forme d’exercice en extérieur et deux canettes par jour… Il va falloir s’y faire. Comme à cette publicité pour le film Sonic the hedhehog, qui orne les bus depuis deux mois, et les ornera encore un bon moment.

 

Pour en (sa)voir plus sur l’artiste : www.etiennemarc.com