Zone de résistance
Pour sa dixième édition, le festival ActOral persiste dans son idée de l’intimité et nous propose de remonter le fil de l’écriture en mettant à nu le processus de création.
Comment s’articulent les mots dès lors qu’on les prononce sur scène ? La dramaturgie s’inscrit dans une idée de la capture de l’attention, de la tension, du dénouement. Tantôt syncopé, tantôt fluide, le phrasé joue sur tous les modes de la diction pour dessiner l’espace des sentiments. On déroule l’espace du vide et l’on remplit par petites touches les éléments d’une théâtralisation. Là où le cinéma superpose les effets pour emmener le spectateur dans une aventure de deux heures, le théâtre s’amuse de la distanciation et de la soustraction pour épurer le pathos de sa brillance, de son cliché. ActOral tente une approche du texte qui invite le dramaturge à renouer avec la proximité du spectateur : un micro, une chaise, trois éléments de décors, un processus en cours de création (une mise en espace). Dans ce contexte épuré, le public se retrouve au plus près des mots. Il rentre dans le texte comme rarement, à la manière d’une peinture qui se refuse au mouvement. Il se dégage un deuxième espace, celui de l’auteur dans son intimité, à la recherche d’une intention. On est confronté à notre petite personne, à notre capacité d’écoute et à notre impatience. On remonte l’origine du théâtre et ce qui matérialise une présence, une histoire, une nécessité. ActOral persiste dans son idée du trois fois rien. Il invite la performance, la mise en lecture, la danse dans ce qu’elle a de plus contemporaine. Pas de tête d’affiche, juste un large tour d’horizon de ce qui vit et s’autorise à contester un monde trop policé. Nous avançons dans une ère du sarcasme où les institutions ne se privent plus de dénoncer et de stigmatiser sur un mode passionnel ce qui sort de la marge. Pourtant, la marge est un endroit où l’on prend des notes, où l’on se permet des remarques, où l’on pose des points d’interrogation, tout ce qui participe au dialogue et à l’échange des contradictions. ActOral pose le principe de précaution et pointe du doigt ce qui est en voie de disparition. Il propose une logique de production qui ne s’excuse pas de son manque de moyens, mais en joue avec une certaine aisance et un sens de l’affirmation. Vivre ActOral, c’est déambuler au fil d’une programmation où l’on se laisse surprendre par l’inconnu. On ne voit pas ce qu’on aimerait voir, mais ce que l’on est au regard d’une différence, d’un état déroutant et de ce qui pourrait nous advenir. Le vingtième siècle s’est écrit dans un monde bipolaire (Capitalisme vs Communisme) qui a servi de prétexte à une réécriture des frontières et un partage du monde entre grandes puissances. Le monde d’aujourd’hui s’écrit à travers le scénario des multinationales qui ont décidé de nous inventer une réalité à travers le prisme de l’écran télé. On voit bien, dès lors, que le théâtre redevient une petite chose qui n’a plus les moyens de proposer une alternative. Il lui reste donc l’essentiel : une introspection sur ce qui définit la qualité du théâtre, un regard critique teinté d’ironie sur le monde d’aujourd’hui, parce que le rire reste un formidable vecteur de plaisir. Le théâtre devient plus que jamais le garant d’espaces d’expression pour le plus petit nombre. C’est dans cette politique du un plus un et de la nécessaire proximité qu’une qualité d’écoute s’installe, que le souvenir de nos morts perdure et que le choix des mots nous rappelle qu’il n’y a pas de prescription sur la mémoire.
Texte et photo : Karim Grandi-Baupain
ActOral.10 : jusqu’au 13/10 dans divers lieux de Marseille. Rens. 04 91 37 14 04 / www.actoral.org