Rubber (France – 1h25) de Quentin Dupieux avec Stephen Spinella, Roxane Mesquida…
Un film et son public sont sur un bateau…
Après Steak (« le film le plus bizarre avec Eric et Ramzy ») et surtout le court Non-film (disponible sur Google Video), les adeptes du Mr Oizo réalisateur bouillonnaient d’impatience… 100 % américain à l’écran (casting, décors…), Rubber se propose de souligner un travers étonnement récurrent du grand cinéma hollywoodien, constituant la « clé du film », très clairement énoncée dès les premières minutes : « Ce que vous allez regarder est un hommage à tout ce qui n’est jamais expliqué dans tous les grands films hollywoodiens ». Poussé à l’extrême, ce principe confine à l’absurde : le personnage principal est ici un pneu, certes muet mais doué de pouvoirs psycho-kinétiques qui lui permettent de faire exploser tout et tous ceux qu’il rencontre — et il ne s’en prive pas. Comme si ce synopsis aberrant ne suffisait pas, Rubber nous engage continuellement sur de fausses pistes, instituant des logiques pour aussitôt les transgresser. Ainsi, alors qu’en préambule, l’« équipe du film » expliquait au spectateur la clé du film dans son propre décor désertique, ledit spectateur se rend soudain compte qu’elle ne s’adressait pas à lui, mais à une dizaine d’individus (de sacrées caricatures d’Américains) censés regarder « le film » à l’aide de jumelles, à quelques centaines de mètres de l’action. Et ce n’est pas la mort des uns (l’« équipe du film ») ou des autres (les « spectateurs clichés ») qui empêchera le film de se poursuivre. « Pour qui, pourquoi ? », se demande-t-on… sans jamais trouver de réponse définitive. Quant à l’empoisonnement des seconds par les premiers, il semble correspondre à la volonté de Dupieux de faire peur à ses « vrais » spectateurs, nous les capricieux consommateurs désireux d’en avoir pour notre argent. Lent et passablement décomplexé, Rubber est à ce titre absolument opposé au régime spectaculaire régnant à la télévision, et c’est à l’aide d’un scénario bourré de chausse-trappes qu’il nous communique le goût de la vacuité, du jeu, du paradoxe.
Jonathan Suissa