Soichi Terada au Cabaret aléatoire © Joffrey Wingrove

Des nouvelles… du Cabaret Aléatoire

Haut lieu de la nuit phocéenne, le Cabaret Aléatoire — où rassemblement, chaleur humaine et partage font office de fer de lance du projet — a fait partie de ceux qui n’ont pas eu l’opportunité de rouvrir leurs portes, ne serait-ce que brièvement, courant 2020. Multipliant les projets aléatoires, le Cabaret se réinvente à coup de livestreams et d’ambitions multidisciplinaires et transversales, offrant une seconde vie temporaire à ses murs esseulés. Quant à l’espoir, il garde une place d’honneur dans l’équipe de cette SMAC, qui concocte savamment Utopia, un festival qui sonnera les retrouvailles électroniques désespérément attendues par tous, à vivre en septembre 2021. Entretien avec Aurélien Deloup, directeur adjoint.

 

 

À quoi aurait ressemblé l’année 2020 de votre structure sans la crise sanitaire ?
Sans la crise sanitaire, 2020 aurait été une année à la fois de confirmation et de développement pour le Cabaret Aléatoire.

Il s’agissait d’abord d’affirmer et de développer nos différents formats de diffusion qui, avec le temps, ont tous trouvé leur place et leur public : le Club Cabaret, co-construit avec les collectifs de la région, tous les vendredis soir ; les soirées ONE, quelques dates exclusives disséminées dans l’année avec des artistes internationaux rares ; des Labels Nights d’exception, des collaborations artistiques avec des opérateurs du territoire, quelques événements forts programmés hors les murs et parfois hors Marseille… Mais 2020 aurait aussi été une année de développement, avec la poursuite d’un programme multi-volets d’accompagnement d’artistes, d’actions culturelles et de sensibilisation des publics, ainsi que l’année de lancement prévu d’un festival ambitieux et innovant en septembre, avec pour terrain de jeu la Friche la Belle de Mai, dans son intégralité !

 

Suite à l’arrêt brutal de vos activités provoqué par le premier confinement, avez-vous pu compter sur des soutiens physiques, psychologiques, financiers ?
Le premier confinement a été un choc car nous étions tous face à un événement inédit, la mise à l’arrêt totale et brutale de notre activité. Dans un premier temps, peu de soutiens, peu d’informations, zéro visibilité, et donc énormément d’interrogations, de doutes. Seuls le SMA (Syndicat des musiques actuelles, ndlr) et le CNM (Centre national de la musique, ndlr) ont progressivement assuré une écoute et un soutien.

Puis rapidement, nous avons compris que notre secteur allait être le dernier à pouvoir repartir dans des conditions « normales ». Notre métier est de rassembler des personnes, de susciter et de faire partager des émotions, de favoriser les échanges, soit précisément ce qui devenait impossible de faire et ce pour une durée indéterminée.

La bataille s’est donc portée sur le soutien financier pour traverser cette crise sanitaire et économique, et imaginer un après.

Des mois d’échanges, de dossiers pour faire prendre en compte la spécificité de notre modèle : nous bénéficions certes du label SMAC (Scènes de musiques actuelles, ndlr), la seule salle de la métropole à ce jour, mais 75 % de nos financements sont des recettes propres liées à notre activité. Nous sommes souvent loués et cités en exemple par les partenaires publics, mais notre force s’est révélée être aussi une faiblesse dans ce contexte exceptionnel.

Nous avons pu compter sur le soutien financier de l’État (via le CNM) et de la Région, qui ont compris les enjeux du secteur de la culture et la situation dramatique dans laquelle se trouvaient les musiques actuelles.

 

Avez-vous eu la possibilité de vous réorganiser, voire de vous réinventer, afin de pouvoir profiter un minimum des quelques mois de répit partiel qui ont précédé cette nouvelle épreuve ?
À la sortie du confinement, nous avons participé au projet Rouvrir le monde lancé par le ministère de la Culture et nous avons préparé un programme de résidences d’artistes afin de soutenir la création et donc les artistes et les techniciens. Nous avons tenté, comme bon nombre d’opérateurs, de revoir la configuration (jauge public, espaces, mesures sanitaires…) de notre festival de septembre. Mais face aux incertitudes et au risque de reconfinement, nous avons finalement pris la décision, fin juillet, de reporter le lancement de notre festival à septembre 2021.

De par la configuration de notre salle, nous n’avons pas considéré l’hypothèse des spectacles assis comme une option sérieuse : cela aurait nécessité de lourds investissements pour peu de garanties réelles de pouvoir accueillir du public. Par ailleurs, notre programmation artistique ne se prête pas vraiment à ce genre « d’adaptation ».

Nous avons donc privilégié d’autres formats de diffusion, principalement le streaming, avec la mise en œuvre d’un « Club Cabaret at home » hebdomadaire, qui a permis de donner un espace d’expression et de la visibilité aux artistes de la scène régionale.

Nous avons également coproduit un événement début septembre sur un catamaran qui a permis d’accueillir un public limité dans des conditions compatibles avec les contraintes sanitaires.

Enfin, notre analyse de la situation nous laissait penser que la sortie de crise allait prendre du temps. Nous avons donc travaillé à l’élaboration d’un nouveau projet appelé le Laboratoire du Cabaret Aléatoire : il s’agit de repenser la salle comme un dispositif dédié à l’expérimentation et à la création musicales et visuelles. L’objectif étant d’accueillir et de (co)produire des projets artistiques originaux, innovants, avec souvent une dimension pluridisciplinaire et scénographique. La majorité de ces projets sont pensés avec une captation vidéo (livestreams ou pas, performances/créations d’artistes ou objets documentaires). C’est une manière pour nous de repenser notre activité en allant plus loin dans l’accompagnement d’artistes et dans le processus de création.

L’objectif, au-delà de l’accueil des artistes et des opérateurs partenaires ainsi que d’impliquer des équipes techniques, c’est d’expérimenter de nouvelles formes de création et de diffusion, en renversant la contrainte et en rendant la démarche plus audacieuse, plus libre, et en pensant l’espace de manière plus globale (les artistes ne sont pas nécessairement sur scène). La préfiguration de ce dispositif a eu lieu la semaine dernière avec une résidence de création mettant en scène la rencontre inédite entre le Dj Jack de Marseille (musiques électroniques) et la compagnie de danse Wrong Time.

Pour nous, se « réinventer », c’est aussi prendre le temps de la réflexion, de la concertation et de l’action collective. C’est ce que nous avons essayé de faire en participant aux États généraux des Indépendants à Lyon, qui a permis l’écriture d’un manifeste pour un nouveau contrat culturel et social.

C’est ce que nous faisons en œuvrant actuellement pour la création d’une antenne régionale de Technopol en PACA.

C’est ce que nous faisons en préparant un projet à 360° en étroite collaboration avec un activiste culturel de la région.

« Nous sommes seuls, donc nous devons être ensemble » : ce constat initié par l’Appel des Indépendants est partagé par beaucoup d’acteurs et de structures culturels, qui ont à cœur dorénavant de réfléchir et de travailler ensemble.

 

Quelles sont vos attentes quant à la considération de l’État pour le milieu culturel face à cette crise sanitaire ?
Symboliquement, une parole de l’État à l’attention du milieu culturel aurait eu beaucoup de poids. Le silence de l’État concernant notre secteur a été longtemps assourdissant. Il a montré de la considération à travers des dispositifs d’aide financière ; c’est un engagement important et nécessaire, mais pas suffisant ! Le milieu culturel a besoin de perspectives, de visibilité.

Le plus difficile psychologiquement pendant des mois a été le flou total concernant la reprise possible d’activité pour notre secteur. L’absence totale de perspectives est aussi anxiogène que la crise sanitaire en elle-même.

Aujourd’hui, l’État doit proposer et nourrir un dialogue régulier avec le milieu culturel, en toute transparence, pour envisager et préparer une sortie de crise.

 

Arrivez-vous à trouver un quelconque aspect positif, qu’il soit personnel, organisationnel ou communautaire, à toutes les difficultés engendrées par ces handicaps répétitifs ?
Cette crise sanitaire a eu plusieurs aspects positifs : elle nous oblige à nous requestionner, à titre personnel et à titre professionnel. On prend du recul, on revoit les priorités, on redéfinit les objectifs. Beaucoup de choses qu’on a tendance à retarder dans le feu de notre activité et qui sont pourtant essentielles pour nos vies et nos métiers.

Et puis, collectivement, il y a des formes de convergences et de solidarité qui se créent.

En espérant que cela ne soit pas balayé une fois la crise sanitaire passée.

 

Quel est votre sentiment par rapport à ce deuxième confinement ? Quelles sont vos perspectives d’avenir ?
Ce deuxième confinement n’est malheureusement pas une surprise et de fait, il ne change pas vraiment la donne pour notre secteur et notre activité principale qui est d’accueillir du public debout, souvent dans un espace clos.

Notre perspective d’avenir porte le nom de notre festival — Utopia — et se situe les 24 et 25 septembre 2021.

D’ici là, nous espérons poursuivre notre programme de résidences de création et d’actions culturelles, et lancer officiellement le Laboratoire d’expérimentations et de création visuelles et sonores du Cabaret Aléatoire.

Bien sûr, comme tous nos collègues, nous avons mis à nouveau des options sur des concerts dès le printemps 2021, et en cas de bonne nouvelle, nous serons naturellement en capacité de reprendre la diffusion avec le public plus tôt.

 

Propos recueillis par la rédaction

 

Pour en (sa)voir plus : www.cabaret-aleatoire.com

 

Documentaire Behind the Box, réalisé par Fabien Cimetière pendant le festival Jack in the Box 2019 : https://fb.watch/2gqKTWaFDZ/