Des nouvelles des éditeurs...

Des nouvelles… des éditeurs

D’utilité publient

 

Si l’on a pu entendre la colère — légitime — des libraires pendant cette annus horribilis, les éditeurs indépendants n’ont guère eu voix au chapitre… Nous avons échangé avec quatre d’entre eux, histoire de prendre le pouls de ce secteur, fragilisé comme tout le milieu culturel par la crise sanitaire.

 

 

Le temps est comme gelé par endroits, même s’il continue de s’écouler à d’autres. Ce régime temporel qui égraine la période que l’on vit représente une mise à l’arrêt, un temps mort, fortement anxiogène pour la plupart des acteurs culturels (aussi forts soient-ils) qui ne savent pas de quoi demain sera fait. Ils naviguent à vue, et la visibilité est très faible.

Parmi les acteurs inquiets de cette situation : les éditeurs indépendants. Des structures souvent petites, qui comptent beaucoup sur la possibilité de défendre elles-mêmes leur catalogue en sus d’une diffusion classique. Or, en temps de distanciation sociale, il n’est pas facile de nouer des liens entre les différents acteurs du monde du livre, de l’auteur au lecteur en passant par le libraire. La vie littéraire est plombée, et si les internets réservent parfois de belles surprises, ils ne sont pas suffisants : l’édition est avant tout un monde vivant.

Nous avons échangé avec quatre éditeurs indépendants marseillais, les Éditions du Typhon, Même Pas Pal, le Chemin des Crêtes et Wildproject. Chacun à sa manière formule l’importance de cette vie littéraire, au cœur du métier d’éditeur, qui, en temps de confinement, vient à manquer.

 

Les Éditions du Typhon

Pour les Éditions du Typhon, le confinement provoque le sentiment d’envoyer des « livres morts » en librairies.

Fondées en octobre 2018, les Éditions du Typhon éditent quatre à six livres par an. Un rythme qui leur permet de mettre l’accent sur la qualité de l’objet (notamment en travaillant avec des illustrateurs) et de soigner leur catalogue. Puisant dans un patrimoine littéraire européen des textes contemporains ou plus anciens qui peuvent entrer en résonance avec les problématiques du monde actuel, l’éditeur questionne la société, sonde les êtres qui la tissent, leurs désirs d’émancipation, narre l’étrange, à travers un regard réaliste ou bien par le prisme du fantastique.

Un travail exigeant qui demande que les ouvrages ne soient pas simplement présents en librairie, mais qu’ils y vivent. Une vie que l’éditeur insuffle à ses créatures.

Ainsi, avant que le confinement ne soit annoncé, les Éditions du Typhon devaient inviter à Marseille Mirko Bonné, un auteur contemporain allemand important fort peu connu en France, qu’elles traduisent et éditent en français avec Plus jamais nuit (2020). L’auteur hambourgeois devait venir nous parler de son livre, mais l’événement a été annulé alors que devant lui se fermait la frontière franco-allemande pour cause de pandémie. Un exemple de rencontre qui malheureusement n’aura pas lieu et qui sera très probablement irrattrapable, quoique…

… Quoique les livres eux aussi sont des rencontres. En cette période de reprise des activités en librairies, Plus jamais nuit côtoie dans les rayonnages L’Étrange Féminin (2020), un très beau projet éditorial qui réunit six autrices françaises contemporaines, à travers six nouvelles autour du féminin et de l’étrange.

 

Même Pas Mal 

Un lien étrange, une petite synchronicité même : les éditions Même Pas Mal éditaient en juin 2020 Plutôt Mourir, un roman graphique de Eva Müller, elle aussi de Hambourg et empêchée (pour l’instant) de venir en France pour défendre son livre. L’autrice aurait dû retrouver ses éditeurs au festival d’Angoulême, lequel devait avoir lieu en janvier mais a été reporté en juin 2021.

La partie Salon des éditeurs du Festival de la Bande Dessinée de Colomiers a quant à elle été carrément annulée. Cela fait un an que les éditions Même Pas Mal n’ont pas pu se rendre à un salon. Ces salons sont pourtant des moment de partage décisif entre éditeurs et auteurs qui s’y retrouvent, se rencontrent parfois pour la première fois, échangent, passent du temps ensemble, font la fête. Des idées et des projets naissent en coulisse.

Tout un monde organique, qui s’épanouit d’ordinaire autour de la vie littéraire, est aujourd’hui confiné. Jusqu’à la vie piétonne qui jouxte la librairie de l’éditeur, située rue des Trois Rois et qui rouvre ses portes en cette période. La vie reprend un peu ses droits par instants. Les éditeurs revoient alors les passants égarés venir s’échouer devant leur porte, les touristes perdus poser un regard curieux, les amateurs inconditionnels faire leur pèlerinage quotidien à la recherche de cet état d’esprit propre à Même Pas Mal, empreint de contre-culture, de révolte et de bande-dessinée alternative.

Ici, en ce moment on peut découvrir une exposition inédite, que nous jalouse le reste de la métropole car c’est la première de la talentueuse Élisa Marraudino. Une exposition dont tout le monde pensait qu’elle se ferait à Paris. Elle est visible jusqu’à nouvel ordre et mérite le voyage. C’est l’occasion de découvrir les nouveautés du moment, et notamment Buck, le premier homme sur Terre (sept. 2020), un roman graphique qui revisite l’histoire des origines de l’humanité aux côtés d’un premier homme en proie à la solitude. Un grand moment très pictural qui réserve une place de choix à la faune, peuplé qu’il est d’animaux que l’auteur, Frederik Van den Stock, se plaît à observer et à dessiner. Son plaisir est communicatif.

 

Wildproject

Et puisqu’il est question d’animaux, rappelons qu’un éditeur qui s’intéresse à leur cause, et donc à la nôtre, ouvrait des locaux le mardi 8 décembre dernier au 12 boulevard National : Wildproject, qui s’apprête finalement à conclure une année 2020 mouvementée mais loin d’être catastrophique.

La maison d’édition a été fondée en 2009 par Baptiste Lanaspeze dans le but de défendre des idées écologistes, notamment en publiant des textes fondateurs de la philosophie de l’écologie. Le projet est autant narratif que politique, militant que scientifique, et aborde l’écologie par tous les angles. Pour l’éditeur, si les ventes se portent bien en ces temps difficiles, c’est peut-être le signe d’une prise de conscience écolo qui ne cesse de progresser en France et qui fait désormais à peu près consensus. « Tous les libraires aujourd’hui ont une table consacrée à l’écologie. »

Si le projet d’ouvrir un local n’est pas directement dû à cette année de confinement, il vient tout de même se poser en contrepoids des contraintes qu’elle nous a imposées, comme la distanciation sociale, puisqu’il est voué à se rapprocher du public. L’éditeur voit ce local comme un moyen de mener une action au sein d’un quartier en suscitant de nouvelles formes de rencontre. Des actions de sensibilisation et de formation, mais aussi des repas avec les auteurs et un système de prêt pourraient y voir le jour.

On y trouvera naturellement les livres de Wildproject, une centaine d’ouvrages parmi lesquels deux nouveautés littéraires : Nitassinan, de Julien Gravelle, qui raconte l’histoire du territoire des Ilnuat, au Canada, et Réécrire l’Amérique, de Barry Lopez, véritable manifeste d’un représentant de la génération des nature writers, qui relate la destruction des cultures amérindiennes et en fait « la matrice de la crise écologique actuelle ».

 

Les Éditions du Chemin des crêtes

C’est donc naturellement avec les Éditions du Chemin des crêtes, qui nous invitent à arpenter les sentiers éponymes, que nous finirons. La maison d’édition est toute vouée aux sports de plein air et aux sorties dans la nature, escalade, kayak, randonnée…

Les éditeurs avaient, lors du premier confinement, choisi de maintenir le cap et d’éditer Rando-bière en Provence, un guide proposant des balades reliant entre elles des brasseries artisanales de la région. Le livre avait reçu un très bon accueil sur les réseaux sociaux où il avait été fortement relayé, notamment grâce aux brasseurs. Ce succès exprimait peut-être, du reste, la coexistence de deux manques distincts ressentis par les internautes, ainsi opportunément réunis et traités dans un seul ouvrage.

Le Chemin des crêtes aborde le deuxième confinement avec cinq nouveautés, que l’on peut retrouver en librairie ou dans les locaux de l’éditeur qui s’ouvrent au public exceptionnellement en ce moment. Autant de récits de grand air, qui ont de quoi faire fantasmer les confinés que nous sommes. Parmi eux, Van Life, qui dresse le portrait de vingt nomades modernes, vingt voyageurs qui ont décidé d’habiter dans un van aménagé et de partir à l’aventure avec leur maison, donc. Une maison qui roule ! Une très bonne idée par les temps qui courent, à condition de ne pas finir confiné sur un parking…

 

Frédéric Vaysse

 

Éditions du Chemin des crêtes : 30 rue Saint-Savournin, 1er.
Rens. : https://www.chemindescretes.fr/fr/