Médée c’est moi qui… au Théâtre des Argonautes
Instance lucide
Dans le cadre désuet et tout à fait charmant du Théâtre des Argonautes, Francine Eymery incarne Médée. Une performance époustouflante dans un texte qui parle au présent.
Dans une relative obscurité où s’accrochent des lambeaux de lumières, s’élève la voix d’un violoncelle à laquelle se joint une voix humaine : c’est Claire Thévenard, qui joue des deux « instruments ». Un spectre flotte dans un angle. Grave et belle, une voix puissante, qui vous happe, incarne déjà ce spectre avant qu’on ne l’aperçoive. Puis des mains apparaissent, Francine Eymery entre dans une lumière qui reste encore très faible. C’est Médée qui évoque les comptes non soldés et éternels de son histoire, puis son histoire elle-même, et enfin sa vie, changeant le placement de sa voix, accompagnée dans cette progression par les éclairages. Ces derniers font apparaître un rond de sable dès lors que Médée quitte son état de spectre pour se réincarner au jour de ses seize ans — celui où elle est présentée au charme envoûtant de Jason. Ce cercle de sable, à la fois disque solaire et lunaire, est une arène, un lieu de drame et de mise à mort, la piste du cirque dérisoire de l’agitation humaine : s’y jouent les intrigues, les manipulations, les lâches et cyniques abandons, l’instrumentalisation des êtres érigée en système… Le texte, porteur d’une musique qui lui est propre, est écrit de façon classique, simplement rattaché à notre époque, de proche en proche, par des mots, des locutions, des idées, qui le traversent comme des comètes — à peine là, sitôt disparues dans la musique continue de la langue. De la même façon, de petits accessoires, par leur incongruité, viennent surgir dans le dépouillement de la mise en scène et de la performance pour rappeler ce caractère dérisoire. Francine Eymery est à la fois extraordinairement dense et semble pourtant sur un souffle. Elle danse en apesanteur, une danse très lente, comme à l’écoute, à pas inspirés et mesurés. Cette façon de se situer dans l’instant ouvre un champ du sensible qui capte l’attention et livre une réflexion sur la notion de responsabilité entre les décisions prises et celles dont on est l’impuissante proie.
Frédéric Marty
Médée c’est moi qui… : jusqu’au 27/11 au Théâtre des Argonautes (33 boulevard Longchamp, 1er).
Rens. 04 91 84 62 71 / http://theatrelesargonautes.free.fr