Leo Fabrizio – Fernand Pouillon, de Marseille à Alger au Centre Photographique Marseille
Pierre de cœur
Leo Fabrizio découvre les réalisations de Fernand Pouillon lors d’une commande photographique pour immortaliser l’expressif bâtiment de l’ambassade de Suisse à Alger (par Bakker & Blanc, 2012). Accompagné de sa chambre photographique, il reviendra sillonner le pays, ainsi que la France, à la découverte de l’œuvre bâtie de l’architecte. Le Centre Photographique Marseille invite l’artiste à présenter le fruit de ces recherches.
Si, en matière d’architecture, Le Corbusier et Rudy Ricciotti sont des noms bien connus des Marseillais, celui de Fernand Pouillon reste relativement confidentiel. Pourtant, le centre de la cité phocéenne ne serait pas ce qu’il est sans son intervention. De l’immeuble Canebière (qui remplaça celui des Nouvelles Galeries, parti en fumée en 1938) au remodelage des vieux quartiers suite au dynamitage de 1943 (Saint-Jean, rive Sud du Vieux-Port), en passant par la Tourette et la bibliothèque de la faculté Saint-Charles, cet architecte aura imprimé sa marque dans le paysage (1). Le Centre Photographique Marseille invite Leo Fabrizio à présenter le résultat de ses recherches. N’ayant pas de biais culturel concernant l’icône marseillaise, le photographe et conférencier suisse déporte son regard vers l’œuvre bâtie en Algérie, aux enjeux tout autres à l’époque : crise du logement, bidonvilles. Avec des techniques similaires et son regard humaniste (« L’architecture est un art au service de la société (2) »), Fernand Pouillon proposera des logements collectifs, à prix coûtant, en accès à la propriété, qu’occuperont Français et Algériens. Une fois de plus, il utilisera la pierre, celle des carrières de Paul Marcerou à Fontvieille, près d’Arles. Cet homme, qui deviendra un partenaire de premier ordre, avait mécanisé le façonnage du calcaire en détournant des machines destinées au travail du bois et du métal, rendant son coût de construction très compétitif face au béton, denrée rare. Pour l’Algérie, Pouillon fera transiter la pierre dans les bateaux de marchandises — qui repartent vides depuis Marseille —, ayant ainsi la capacité de tenir le budget sans sacrifier la qualité du bâti. C’est l’une des compétences requises pour un acteur de la (re)construction : être bon marché, rapide, et si l’on est consciencieux, proposer de l’habitat confortable, modulable et en phase avec les usages locaux.
Flamboyant, Fernand Pouillon, véritable personnage de roman qui, en 1962, s’évadera de son lieu de détention provisoire à l’aide d’une corde faite de draps pour réapparaitre le jour de son procès au tribunal (3), est l’homme de l’impossible. En 1955, ne construit-il pas à Aix-en-Provence, selon son slogan et tel un pari, « 200 logements, pour 200 millions, en 200 jours (4) » ? C’est pour cette raison que Jacques Chevallier, le maire emblématique d’Alger, le sollicite en 1953 pour éradiquer l’habitat indigne : « Bon catholique, il avait un attachement profond pour l’islam et rêvait de voir les deux communautés sur un pied d’égalité morale et intellectuelle complète. (2) » Ils logeront plus de 50 000 personnes en cinq années de chantiers dans trois grands ensembles : Diar-es-Saâda, la cité du bonheur (1953-1954, 735 logements), Diar el Mahçoul, la cité de la promesse tenue (1954-1955, 1800 logements) et Climat de France (1954-1958, 3500 logements). Les appartements proposent salle de bain, chauffage central, cuisine équipée. Les aménagements extérieurs bénéficient d’un traitement soigneux : places et marchés couverts, fontaines, brumisateurs, le tout façonné avec cette pierre qui vieillit bien. Leo Fabrizio rapporte qu’encore aujourd’hui, dans ces logements, les enfants peuvent nommer Fernand Pouillon comme un label de qualité. Pouillon s’inspirera de l’architecture vernaculaire musulmane pour proposer des ouvertures qui respectent l’intimité et ainsi, tel des moucharabiehs, voir sans être vu. Comme pour la Tourette, il fera appel au céramiste Jean Amado, qui réalisera les sculptures des façades. Ses réussites dérangeront beaucoup de monde : certains confrères, jaloux de ses commandes, mais aussi les promoteurs qui voient d’un mauvais œil cet homme qui fait baisser les prix (de construction et de vente) des logements, sans compter sa vision de l’Algérie, loin d’être partagée : « J’ai opté, immédiatement et avant le soulèvement, pour l’Algérie indépendante pour les musulmans. (2) » Ceci l’éloignera de l’Algérie un temps, accaparé par ses aventures en Iran et Île-de-France, d’où viendront ses problèmes judiciaires.
Il reviendra juste après, en 1965, et aménagera des bâtiments à usage touristique jusqu’en 1984. Ce sont les clichés les plus esthétisants que l’on peut retrouver dans l’exposition, avec notamment ceux de Tipasa. Ce sont ces histoires mises en images, celles d’un homme, d’un pays et des cultures méditerranéennes, que nous raconte Leo Fabrizio.
Damien Bœuf
Leo Fabrizio – Fernand Pouillon, de Marseille à Alger. Photographies : jusqu’au 5/06 au Centre Photographique Marseille (2 rue Vincent Leblanc, Marseille 2e).
Rens. : https://www.centrephotomarseille.fr/
- Sans compter ses autres réalisations à Marseille (Usine Nestlé, la station sanitaire – actuellement Musée Regards de Provence…), le stadium, les logements et les facultés à Aix-en-Provence…
- In Mémoire d’un architecte de Fernand Pouillon (Seuil)
- Un matériau que l’architecte exploitera pleinement lors de la construction des gares en Iran
- Une obscure histoire de financement pour l’opération immobilière Le Point du jour, à Boulogne, où il sera condamné à trois ans de prison en 1964 pour abus de biens sociaux, fausse déclaration de libération de parts et déclaration notariée mensongère.
- Compte tenu de l’inflation, chaque logement aurait couté 25 153 € en 2020 pour un salaire minimum de 480 €.