Les Amours imaginaires
(Canada – 1h35) de Xavier Dolan
Après un premier film très remarqué, J’ai tué ma mère, le jeune Canadien Xavier Dolan avait cristallisé une certaine attente, du haut de ses vingt ans. Le coup d’essai est devenu coup de maître avec ces Amours imaginaires, à l’opposé de son premier opus. Triangle amoureux aux accents pop, le film explore l’ambivalence de la sexualité adolescente, un no man’s land où se nichent le supplice du désir, la crainte de l’attente, la jalousie et le bouleversement du rejet. Xavier Dolan use ici d’une grammaire cinématographique très personnelle, souvent inventive, toujours jouissive.
La Bocca del Lupo
(Italie – 1h15) de Pietro Marcello
Le plus grand film de 2010 fut également le plus confidentiel. Quatre copies en France pour ce poème torrentiel, vacillant dans les ruelles sombres de Gênes. A travers la destinée d’Enzo, ex-taulard macho compagnon d’un transsexuel, Marcello signe un film intelligent, où la profondeur de l’image le dispute à la maestria du montage. Tout est dans le détail, pour échapper à la simple chronique de faits de société : une voix off venue d’outre-tombe, récitant un texte puissant, des personnages jamais caricaturaux et une ville moite, omniprésente, charriant avec elle toutes les douleurs humaines.
Des hommes et des dieux
(France – 2h) de Xavier Beauvois
Evoquant l’assassinat des moines français de Tibéhirine, Beauvois remonte le temps et la vie de ces hommes qui, face au danger, se demandent s’ils doivent partir ou rester. Entre la quête métaphysique et la conscience du mortel se tisse un drame qui nous touche. Vivre l’existence de dieu, c’est aborder la transcendance de l’esprit propre à des images et des mots qui touchent à l’essence de l’art. Dans le silence du cloître, la caméra dessine des scènes du Moyen-âge, la voix inscrit la poésie de textes oubliés, la pensée s’élève pour comprendre l’inexplicable et le cinéma se découvre de nouveaux horizons.
Lola
(Philippines/France – 1h50) de Brillante Mendoza
Ce qui est frappant chez Mendoza, c’est cette manière de conjuguer instabilité de l’image, façon docu amateur, et structure narrative imparable, presque clinique. Le sentiment d’adhésion (ou de rejet) est immédiat. C’est presque physique, on ne peut rester insensible à cette matière crue, à cette vie sans artifices, à ces rues grouillantes de Manille. En cela, Mendoza va plus loin que le néo-réalisme auquel on le rattache souvent : le cœur de son cinéma n’est pas social, mais humain. Ces trajectoires croisées de deux grand-mères reliées par le même malheur élèvent Lola au rang d’œuvre majeure.
Mother
(Corée du Sud – 2h10) de Joon-ho Bong
Après les excellents Memories of murder et The host, Bong Joon-Ho prouve sans conteste qu’il est bien l’un des cinéastes asiatiques contemporains les plus doués. Car le Sud-Coréen se joue des genres. A l’instar de Memories of murder, son dernier opus prend initialement la forme d’un thriller, pour rapidement revenir vers le mélodrame, sous les traits d’une mère courage tentant de prouver l’innocence de son fils, accusé de meurtre. Une fois encore, le réalisateur ne se prive d’ailleurs pas de jeter un œil critique sur la société sud-coréenne contemporaine.
Oncle Boonmee (celui qui se souvient de ses vies antérieures)
(Thaïlande/France/GB/Espagne/Allemagne – 1h53) d’Apichatpong Wheerastheakul
Palme d’Or surprise en 2010, la dernière œuvre de Weerasethakul est, à l’instar des précédentes, une expérience unique, un voyage intérieur bouleversant aux confins de l’humain, de la mort, de l’âme. Un homme se sachant mourant voit ressurgir son épouse défunte et son fils disparu. Partant de cette trame, Weerasethakul se joue des symboles et offre quelques moments de cinéma parmi les plus beaux jamais croisés. Le film baigne dans une contemplation du monde totalement hypnotique, chaque plan devenant un portrait soigneusement construit par le cinéaste thaïlandais.
Les Rêves dansants, sur les pas de Pina Bausch
(Allemagne – 1h29) d’Anne Linsel & Rainer Hoffmann
Linsel et Hoffmann signent l’un des films les plus dynamiques, les plus réjouissants de l’année, hommage inspiré, quasi-posthume, à la chorégraphe allemande. Celle-ci décida peu avant sa disparition de reprendre l’un de ses spectacles phares, Kontakthof, interprété ici par une troupe d’ados inexpérimentés. C’est alors que la magie opère. Au cœur de ce laboratoire, le film suit ces personnages en ébullition, craintifs et émouvants, pétris d’admiration pour leur professeur. Le documentaire devient un magnifique portrait de l’adolescence, protéiforme et terriblement vivant.
La Terre de la folie
(France – 1h30) de Luc Moullet
Cinéaste iconoclaste issu de la Nouvelle Vague, Luc Moullet signe à soixante-treize ans un film intelligent et espiègle, sous forme de documentaire cathartique. Il nous invite en Haute-Provence, au cœur d’un pentagone maudit (entre Digne, Gap, Forcalquier, Manosque et Gréoux-les-Bains), terre de prédilection, selon lui, d’une sauvagerie meurtrière sévissant à travers les âges. Moullet développe sa théorie avec une application comique frisant l’absurde et nous plonge sans crier gare dans cet univers gentiment fou, qui n’est pas sans rappeler parfois l’œuvre de Buñuel.
The Social Network
(USA – 2h) de David Fincher
Ou la « success story » de Facebook. En s’adressant à un public potentiel dépassant les cinq cents millions d’abonnés, le film redescend vers le particulier et désigne les auteurs de ce phénomène sans précédent : Marc Zuckerberg, étudiant dont le talent pour les algorithmes lui fait oublier que les hommes ne sont pas des nombres, et Eduardo Saverin, son ami largué par l’importance des enjeux. Le rapport à l’argent, au réseau, à l’image de la femme… quand tout se concentre dans les mains de jeunes hommes, la réussite devient une bombe à retardement et l’on rentre dans ce qui fait la force du cinéma : le suspense et le climax.
Vénus noire
(France – 2h44) d’Abdellatif Kechiche
Eprouver le temps jusqu’à l’épuisement, éprouver le corps jusqu’à sa chute… Kechiche n’a jamais fait dans la demi-mesure. Il colle au corps de ses personnages, poursuit ses scènes jusqu’au malaise, et de cet étirement du temps et des sens naissent la justesse et la profondeur. Une sorte d’accouchement dans la douleur. Une libération aussi. Cette radicalité donne le tournis au cinéma français, peu habitué à être ainsi secoué, tant dans sa forme que dans ses thèmes. Après L’esquive et La graine et le mulet, Abdellatif kechiche construit patiemment une des œuvres les plus passionnantes du cinéma contemporain.
Ils auraient pu y être…
• Achille et la tortue (Japon – 1h59) de Takeshi Kitano
• Ajami (Israël – 1h58) de Scandar Copti & Yaron Shani
• L’Encerclement (Canada – 2h40) de Richard Brouillette
• Film socialisme (France/Suisse – 1h42) de Jean-Luc Godard
• Kaboom (USA – 1h26) de Greg Araki
• Life during wartime (USA – 1h38) de Todd Solondz
• Nostalgie de la lumière (Chili/Espagne/Allemagne/France – 1h30) de Patricio Guzm·n
• Potiche (France – 1h43) de FranÁois Ozon
• Tournée (France – 1h51) de Mathieu Amalric
• Toy Story 3 (USA – 1h40) de Lee Unkrich
• White material (France – 1h42) de Claire Denis