Beach House
Teen dream (Bella Union)
Duo mixte originaire de Baltimore, tendance pop onirique parfaite pour rêvasser sous la couette. Dis comme ça, pas de quoi passer une journée entière au pieu. Et puis arrive en début d’année ce rêve adolescent, si bien nommé, déroulant dix titres extraordinaires de mélancolie et de romantisme ascensionnel. D’elle ou de lui, on ne sait pas très bien qui chante, qui tricote ces délicats arpèges de guitare, drogués à souhait. Mais à vrai dire, on s’en tape : ce troisième album confine au sublime.
Damien Jurado
Saint Bartlett (Secretly Canadian / Differ-Ant)
Aussi discret que talentueux, Damien Jurado est certainement l’un des secrets les mieux gardés de la scène folk américaine. S’il partage avec ses aînés ce même sens de la simplicité, il a su aussi enrichir ses romances d’une orchestration riche et chaleureuse qui sied à merveille à ses tendres inflexions vocales. Loin de l’aridité mélodique et instrumentale érigée en table de loi, la musique offerte par le jeune trentenaire est une véritable caresse. Avec sa voix de velours, son écriture de dentelle et sa production d’orfèvre, il tutoie ici les sommets du genre. Assurément un très grand disque.
Gigi
Maintenant (Tomlab)
L’ombre de Phil Spector semble planer sur les studios des Canadiens Nick Krgovich et Colin Stewart. Avec la crème des voix féminines de l’indie rock du moment, ils nous offrent, sous le nom de Gigi, quinze vignettes qui sonnent comme un condensé du meilleur de la pop de ces cinquante dernières années. Orchestré comme du Scott Walker, ciselé comme du Burt Bacharach, Maintenant est une sucrerie intemporelle au charme aussi imparable que désuet, une vraie merveille de légèreté et d’insouciance. Touchées par la grâce, les chansons coulent ici comme du miel, nous offrant au passage un avant-goût de bonheur.
Joanna Newsom
Have one on me (Drag City)
On pourra noter, vis-à-vis de son précédent album, un chant toujours plus technique mais aussi plus répétitif dans ses mélodies, et surtout une tendance mélancolique présente à chaque instant, sauf dans la chanson titre, où elle conte l’histoire de Lola Montés avec passion. Rien qui ne nous empêche cependant d’avoir passé l’année à arpenter ses nouveaux titres, toujours mixés par Jim O’Rourke, encore et encore, hypnotisés jour et nuit par la jeune sirène d’origine caucasienne. Parce que sa grâce nous illumine et nous obsède, nous étreignons Joanna dans le lit de ses doutes et de ses peines.
Shit Robot
From the cradle to the rave (DFA)
L’une des grandes déceptions de 2010, ce fut le troisième (et dernier ?) album de LCD Soundsystem, ce groupe new-yorkais (ben tiens) qui restera quand même une fantastique promesse faite à la musique de cette dernière décennie. James Murphy, toujours à la tête du label DFA, peut aller prendre se retraite peinard : après The Juan Maclean en 2009, Shit Robot prend le relais cette année dans une veine électro/disco/pop tout en montées orgiaques. Une certitude : DFA est toujours au top.
Sufjan Stevens
The Adge of Adz (Asthmatic Kitty)
Brillant changement de cap pour l’angélique bonhomme qui laisse désormais flirter sa pop/folk avec une electronica des plus audacieuses. En injectant ainsi le piquant qui pouvait manquer à ses précédentes aventures, il s’accapare, avec une aisance déconcertante (comme à son habitude), des terres que l’on pensait surpeuplées, des partitions que l’on pensait surjouées. L’auditeur n’a plus qu’à se laisser happer par cette effervescence robotique au charme dévastateur et à l’énergie créatrice bouillonnante, qui compte indubitablement parmi les plus remarquables de l’année.
The Books
The Way Out (Temporary Residence / SC Distribution)
Il faut bien l’avouer, quand la pop se frotte à la création sonore, nos oreilles en pâtissent bien souvent. Mais quand le talent s’en mêle, cela donne un des albums pop les plus aventureux de ces dernières années. Bricoleurs de génie, Nick Zamuto et Paul de Jong réinventent l’art du collage en lui insufflant une touche d’électronique et surtout beaucoup d’humour. Collision presque accidentelle de petites choses assemblées et superposées, cet album-labyrinthe impressionne véritablement. A la croisée des musiques savantes et du dadaïsme rock façon Zappa, The Books s’invitent à la table des grands.
Oneohtrix Point Never
Returnal (Mego)
Les claviers analogiques de Daniel Lopatin synthétisent à eux seuls plus de trente ans de musique électronique. Engouffrées dans la brèche ouverte par des groupes comme Boards of Canada, les architectures abyssales de Returnal prolongent l’aventure de façon radicale. En guise d’introduction, des parties rythmiques sont joliment saccagées et englouties par les eaux pour un véritable retour aux sources. On s’est d’ailleurs rarement sentis aussi bien, égarés dans le cosmos, quelque part entre le psychédélisme des 70’s et l’ambient des 00’s. Le grand vertige de l’année.
Owen Pallett
Heartland (Domino)
Le dernier Sufjan Stevens a mis beaucoup de monde sur le cul récemment. A juste titre : arriver à une si parfaite alchimie entre pop pastorale et architectures électroniques, lisibilité mélodique et complexité orchestrale n’est pas donné au premier venu. Pourtant, il ne faudrait pas oublier qu’Owen Pallett, ci-devant arrangeur d’Arcade Fire, fut le premier cette année à réussir telle prouesse. Un authentique chef-d’œuvre, moins barré mais d’une finesse inouïe, totalement inusable.
Yussuf Jerusalem
A heart full of sorrow (Born Bad)
Le buzz Born Bad de l’année tente de brouiller les pistes (un pseudo provocateur, une imagerie goth un satanique), mais il s’agit bien de rock garage et non de death/drone/black metal (exception faite sur une piste…). Fraîchement extirpé de sa cave à Saint-Ouen, Benjamin Daures signe un premier opus minimaliste et bricolo, surprenant d’efficacité, que l’on apprécie tout particulièrement lorsqu’il s’aventure vers de dissonantes contrées. Une guitare qui se gratte, de la disto de partout, le timbre rocailleux, des mélodies étrangement familières, l’âme solitaire et en route pour le top dix !