I Pagliacci & Cavalleria Rusticana présentés à l’Opéra de Marseille
Pagliacci de oro
Deux opéras, deux compositeurs, deux visages de la passion amoureuse et tragique et deux interprètes admirables ont rempli l’Opéra jusqu’aux cintres et l’ont fait déborder d’enthousiasme.
Toute auréolée des louanges tressées pour sa production du Hamlet d’Ambroise Thomas et des cinq étoiles (sur cinq) décernées par la revue Opera now, la salle de la rue de Molière accueillait Cavalleria Rusticana de Pietro Mascagni, lauréat avec cette œuvre du Concorso Sonzogno 1889, et I Pagliacci de Ruggero Leoncavallo, qui affiche son intention « vériste » en son prologue. Ces deux opéras sont co-produits avec les Chorégies d’Orange, lesquelles en avaient eu la primeur. Pour ces soirées, Fabrizio Maria Carminati, nommé premier chef invité pendant cette semaine de représentations, tint la baguette avec la précision et la nuance qu’on lui connaît et l’orchestre, à l’exception d’une attaque de cuivres, répondit plus que bien avec de vrais moments de grâce et d’émotions. Les costumes de Rosalie Varda sont très colorés, pastels dans I Pagliacci et noir, blanc et gris dans Cavalleria… — à l’exception de Lola, maîtresse de Turridu, seule touche de rose dans cet univers. Nous avons eu la chance, mais c’est une chance assez facile à provoquer, étant donné que dix euros suffisent pour accéder aux places les moins chères, d’assister à deux soirées. Pour Cavalleria…, nous avons, le premier soir, été marqués par la force et l’austérité de la tragédie, la poigne du destin, de la morale et de la religion dans son côté « miserere ». Le vendredi suivant, tout semble avoir pris de l’ampleur, la force de la tragédie est passée dans les sentiments. Béatrice Uria-Monzon / Santuzza est bouleversante et Luca Lombardo / Turridu, abandonnant faiblesses et devoirs, rend à son âme sa grandeur en choisissant d’expier sa faute dans le sang et à l’œuvre la noblesse qu’elle prête au rude code d’honneur des campagnes méditerranéennes. Par contraste, Pagliacci s’avère haut en couleur et peut sembler user de facilité pour séduire… Il n’empêche, quel plaisir, quel bonheur on a à voir s’enchaîner les différents tableaux ! Carlos Almeguer / Tonio nous séduit dès l’entame, nous aborde et nous entraîne à la parade des saltimbanques annonçant leur spectacle. C’est gai, coloré, enlevé. Durant cette installation, les personnages trahissent tour à tour leur condition : Paillasse est un peu fruste, grande gueule, jaloux, et Tonio, plus pathétique, pervers et retors qu’il ne laissait paraître de prime abord. La mise en scène de Jean-Claude Auvray évoque alors le cinéma réaliste italien, qui pour être réaliste n’en est pas moi empli de poésie, quelque part entre La strada et Affreux, sales et méchants. Tous, et les chœurs de Pierre Iodice et Samuel Coquard avec, auront contribué aux succès de ces soirées, mais assurément ce sont les accents déchirants de Vladimir Galouzine / Canio qui nous auront fait éprouver la peine et la souffrance de Paillasse, la douleur de cette forme de tristesse qui connaît l’injustice et ne sait pas l’abandon.
Texte : Frédéric Marty
Photo : Christian Dresse
I Pagliacci & Cavalleria Rusticana étaient présentés du 2 au 6/02 à l’Opéra de Marseille