François Morel, Yolande Moreau et Antoine Sahler © Frédéric Mei

Galette | Brassens dans le texte de Yolande Moreau, François Morel et Antoine Sahler

Les copains d’accords

 

Yolande Moreau, François Morel et le musicien Antoine Sahler cosignent l’album Brassens dans le texte, paru début octobre. Plus qu’un hommage, ils rendent grâce au chanteur poète et le ramènent à la vie !

 

 

« On ne sait pas si on a raison mais on va essayer de le faire quand même ! » : telle fut la réaction de l’artiste chroniqueur François Morel lorsque la maison de disque Fontana — label d’Universal — lui a proposé de « dire » les textes de Brassens. Sûrement pris entre le souhait de servir l’honneur qui lui était fait et le risque de ne participer qu’à un critiquable énième hommage, l’envie de s’amuser comme une effronterie enfantine l’a emporté. Il a non seulement détourné l’effet « commande anniversaire des cent ans de Brassens », mais il offre aussi au poète, référence incontournable de la chanson française, un album à sa juste mesure : pas celle des débonnaires « pom pom pom pom pom », mais préférablement celle du rythme endiablé de l’impertinence, du swing du verbe haut caché sous la gaudriole, de la mélodie de ses paroles énigmatiques qui servent un propos tranché et frondeur, des airs de blues de ses tendresses pudiques.

 

L’absurde dans le quotidien

Ses retrouvailles artistiques avec Yolande Moreau se font sous les meilleurs auspices ! Enregistré en cinq jours dans le studio de David Chalmin, la Fabrique des Ondes, près de Biarritz, il a été réalisé dans une bonne humeur évidente, un artisanat tissé de la simplicité des amis qui se connaissent par cœur. L’auditeur se réjouissant des sketchs qu’il trouvera plus ou moins assimilables à leur travail sur les Deschiens sera surpris d’y découvrir la saveur de l’écriture du poète sétois mise en exergue par la palette des talents multiples de ces deux grands comédiens. Ils se rejoignent finalement dans certaines chansons sur cette faculté à émouvoir ou faire rire de l’absurde dans le quotidien.

Brassens disait : « Il faut que mes chansons aient l’air d’être parlées, que ceux qui m’entendent croient que je ne sais pas chanter, que je fais des petites musiquettes faciles. » Ils semblent l’avoir écouté, du moins pour le début, car ce sont bien la complexité de ses mélodies, l’ingéniosité, la beauté, la puissance de ses propos qui se révèlent plus encore dans ce disque. Si Fernande faisait bander Brassens, c’est tout Brassens dans le texte qui excite nos sens jusqu’à l’infini, poésie du vers dit, du vers chanté, du vers parlé, du vers, lui aussi, dans tous ses états… avec ces deux-là.

 

Petites histoires de vie

Brassens dans le texte a la géniale idée d’offrir aux textes de Georges des sous-textes scénarisés, sortes de mises en situation des paroles du poète retrouvant ainsi des contextes populaires, imagés ou en prise directe avec ce réel, ces faits de société qu’il décrit. À chaque chanson, un ton ; à chaque texte une ambiance, un univers sonore qui claque comme la bonne tape d’un pote dans le dos avant de s’en jeter un derrière la cravate, avec fou rire entre deux rimes, petit tintement des notes de piano qui court sur le dos des bancs publics.

Antoine Sahler, quant à lui, endosse une bluffante casquette de sound designer, que confirme François Morel : « Antoine Sahler a été absolument déterminant dans les ambiances et les arrangements. Pour La Visite, par exemple, on entend le texte grâce à sa musique et au côté martial qu’il a apporté à cette chanson-là. » En effet, il a donné un coup de speed au propre comme au figuré au rythme de Brassens.

Et il y a toutes ces pépites : dans Fernande, la voix gainsbourienne de Morel à la façon des films porno des années 70 face au côté coquin d’une irrésistible Yolande ; la gouaille d’une Yoyo-Arletty dans Les Filles de joie, alors qu’Hécatombe est un véritable court-métrage audio. Et, nom d’un pendu, Le Verger du roi Louis s’accommode à merveille du Strange Fruit de Billie Holliday…
Brassens dans le texte n’actualise pas les propos de Brassens. Le disque dévoile, par cette structuration très scénique et souvent oubliée de ses chansons, en quoi ses textes sont résolument intemporels, engagés et de minutieux témoignages d’instants de vie.

Le tandem Moreau-Morel s’en empare dans une jubilation communicative où leur humour, tendrement piquant, la force de leur jeu, les bonheurs et variantes de leurs voix servies par les superbes arrangements d’Antoine Sahler feraient aimer Brassens au plus réfractaire. Ils ont osé toucher à l’œuvre de Brassens, en respectant l’essentiel : quelle belle irrévérence !

 

Marie Anezin

 

Brassens dans le texte est sorti le 8 octobre 2021 sur le label Fontana.