Lucie Albrecht – Sylvain

Les éditions Même Pas Mal

Carrément trop bien

 

 

Après plus de dix ans d’activité, les éditions marseillaises de bande dessinée alternative Même Pas Mal se portent plutôt bien. À l’occasion de l’exposition des planches originales du roman graphique Sylvain de Lucie Albrecht dans leur local-boutique, véritable repaire de la scène graphique alternative, rencontre en forme de bilan provisoire d’une belle aventure artistique et humaine avec Mélanie, Chloé et Yann, à qui cet article est dédié car il nous a hélas quittés la semaine passée.

 

 

Créées à Marseille en 2009, les éditions Même Pas Mal se sont consacrées dès leurs débuts à la bande dessinée qu’on appelle faute de mieux « indépendante ». Si au départ, ils étaient quatre avec Pierrick Starsky — parti s’occuper à plein temps de la défunte revue Aaarg ! —, cela fait très longtemps qu’ils travaillent à trois, Mélanie et Chloé s’occupant plutôt du suivi éditorial, et Yann du graphisme des ouvrages.

Avec un catalogue riche et éclectique, qui a dépassé les cinquante ouvrages en 2019, où aux recueils d’histoires courtes à l’humour cynique des débuts (comme les « best sellers » Paf et Hencule, Glory Owl ou le recueil paru en 2021 au tirage plus modeste Tout brûle comme prévu du jeune Adrien Yeung) sont venus s’ajouter des longs récits plus expérimentaux ou intimistes.

Un catalogue qui mêle des auteurs confirmés, comme Fabcaro, et beaucoup de jeunes auteurs. « Ça nous semble important de promouvoir cette jeune génération !, disent-ils en chœur avec un enthousiasme qu’on ne peut que partager. Nous n’avons jamais vu autant de choses aussi folles, que ce soit graphiquement comme dans la façon de raconter, qu’en ce moment. »

L’équipe de Même Pas Mal étant composée aux deux tiers de femmes, cela se ressent forcément dans le choix des ouvrages. « Il y a dans cette nouvelle génération beaucoup d’autrices qui ressentent la nécessité de parler d’histoires qui n’ont pas le même prisme, et sans que ce soit forcément du féminisme revendiqué, ce sont des récits avec des personnages féminins qui sont beaucoup moins stéréotypés. »

S’ils avouent avoir un faible pour les auteurs flamands (après plusieurs traductions, un titre comme Papa Zoglu de Simon Spruyt est même sorti en France avant la Belgique), ils n’en oublient pas les auteurs locaux, comme le niçois Pluie Acide et ses deux étonnants ouvrages, le très cyberpunk Sabordage et le délirant Poussière sous-titré « Une histoire presque vraie » car très librement inspiré de l’histoire de sa grand-mère, ou le régional de l’étape Benoît Carbonnel, auteur de l’excellent Cool parano paru en début d’année et épuisé très rapidement.

Mais le local, c’est surtout leurs bureaux qui servent aussi de boutique, situés au début de la rue des Trois Rois, à quelques mètres à peine de la mythique librairie BD La Passerelle aujourd’hui devenue un restaurant. Initialement partagé avec un collectif d’auteurs, ils ont petit à petit investi tout l’espace et ont organisé des expositions d’auteurs maison et locaux, mais aussi présenté d’autres productions que les leurs, au hasard des rencontres en festival.

« En fait, il y a autant d’événements pour des illustratrices et illustrateurs qui viennent exposer ici que pour les lancements de nos propres livres. Ce qui a créé une sorte de mélange avec des gens qui ne seraient pas forcément venus à nos vernissages, ce qui est tout de même assez cool ! »

Si le festival BADAM, qu’ils avaient initié avec la librairie marseillaise La Réserve à bulles n’existe plus (« C’était génial comme expérience mais c’était trop de boulot ! Une année nous avons organisé quatorze événements dans sept lieux différents ! »), ils ne s’avouent pas vaincus pour autant et continuent, en plus de leurs ouvrages et des expositions dans leur local, d’organiser des événements hors les murs comme juste avant le premier confinement, une double exposition et un double concert à la Brasserie Communale avec l’artiste belge Aurélie William-Levaux, le musicien et performeur basé à Bruxelles Baptiste Brunello et le musicien et auteur maison David Snug.

La rentrée 2021 de Même Pas Mal s’est faite tambour battant, avec en plus de la réédition de Cool Parano de Benoît Carbonnel, le nouvel ouvrage de l’autrice Tarmasz Le Tournoi d’Alifar qui, entre fantastique et exploit sportif, nous emmène dans les arcanes du roller féminin, et Pain Bénit de l’auteur perpignanais Helkarava, un récit initiatique loufoque mélangeant héroic fantasy et boulangerie !

Et pour parfaire le palmarès de cette rentrée, la jeune autrice Lucie Albrecht signe Sylvain, un roman graphique où elle décrit de façon sensible le quotidien de la jeune Charlotte et de sa grande sœur Romane, qui sont confrontées à la disparition de leur mère, récemment décédée d’un cancer, Sylvain étant le nom que Charlotte et sa mère ont donné à son cancer. Un récit à hauteur d’adolescentes complètement en prise avec son époque et plein, à la fois dans les dialogues et les références culturelles, d’une modernité loin d’être artificielle.

Mais le plus étonnant dans ce roman graphique reste le dessin de Lucie Albrecht, peintures tout en nuances de gris, qui sous sa fausse simplicité renferme des trésors de réalisme, notamment dans les textures. C’est ce que l’on peut découvrir, entre autres documents de travail (carnets, notes…), dans l’exposition que lui consacrent les éditions Même Pas Mal dans leur local-boutique jusqu’en décembre.

Une très belle découverte comme le catalogue des éditions Même Pas Mal en regorge !

 

JP Soares

 

Lucie Albrecht – Sylvain : jusqu’au 15/12 chez Même Pas Mal (4 rue des Trois Rois, 6e).

Rens. : https://meme-pas-mal.fr/