Europa, Oxalá au Mucem

Colonies vertébrales

 

À l’heure où le prix Goncourt vient de primer pour la première fois un auteur africain, l’exposition Europa, Oxalá au Mucem met en avant le travail d’artistes européens originaires d’Afrique qui, tout en questionnant l’influence de la colonisation, brosse un portrait de la diversité culturelle aujourd’hui, tout en ouvrant des perspectives sur l’avenir du Vieux Continent.

 

 

Initiée par le Mucem, l’AfricaMuseum de Tervuren en Belgique, la Fondation Gulbenkian à Lisbonne et l’Université de Coimbra au Portugal, l’exposition Europa, Oxalá se propose à la fois de dresser un bilan du passé colonial tout en se projetant vers l’avenir pour imaginer ce que cette diversité culturelle peut apporter à l’Europe.

Et quoi de mieux pour interroger ces perspectives transversales à la fois historiques, sociales, culturelles et prospectives que la création artistique ?

Les commissaires d’expositions, l’universitaire portugais António Pinto Ribeiro et les artistes Katia Kameli et Aimé Mpane Enkobo, ont ainsi réuni vingt-et-un artistes européens vivant dans ces trois pays au long passé colonial que sont la France, la Belgique et le Portugal, et dont les origines sont ancrées dans ces mêmes colonies, pour proposer des œuvres qui interrogent le rapport à leurs origines mais aussi leur sentiment vis-à-vis de la citoyenneté européenne.

Une des originalités de l’exposition consiste à proposer un spectre géographique assez large. Si elle se cantonne aux relations africano-européennes, on est agréablement surpris d’y trouver, en plus des colonies francophones, de l’Algérie à Madagascar, en passant par le Congo, des artistes issus des colonies lusophones, comme la Guinée-Bissau ou l’Angola.

Dans un souci de transdisciplinarité, l’exposition balaie la plupart des médiums de l’art actuel : des installations, comme celle de Sammy Baloji (Congo), avec ses douilles d’obus gravés par des poilus de la Guerre de 14 reconvertis en pots pour plantes exotiques, instaurant un va-et-vient entre culture européenne et africaine ; de la photographie avec le travail de Mónica de Miranda (Angola) et sa série Black Tales ; de la peinture et du dessin, comme les travaux de Nú Barreto (Guinée-Bissau), dont l’accrochage Traços diários 3 (2020) présente 42 dessins sur carton kraft qui mettent en scène des personnages toujours en mouvement, comme pour éviter de tomber ; ou encore de la sculpture avec Fayçal Baghriche (Algérie), qui a reconstitué la main en bronze manquante à la statue du Cardinal Lavigerie, fondateur des célèbre mission des Pères blancs ; sans oublier la vidéo, avec les deux étonnantes anticipations de Sara Sadik et Josèfa Ntjam.

On retiendra également les travaux de Délio Jasse qui, avec les cyanotypes de sa ville natale de Luanda, est l’un des seuls à interroger directement la problématique économique, l’Angola ayant vécu un boum économique dû à l’exploitation des hydrocarbures qui se stoppa net en 2014 avec une énième crise pétrolière.

Mais aussi les deux magnifiques dessins d’un rouge violacé de Pedro A. H. Paixão, un descendant de métis angolais : l’étrange portrait de son arrière-grand-mère, mais aussi son énigmatique autoportrait.

Toutes ces œuvres dressent également un panorama d’une certaine création artistique qu’elle contribue à renouveler par ses thématiques — le passé colonial et la diversité culturelle — et ses créateurs (de par leurs origines).

Même si c’est l’imagerie coloniale que les artistes mettent en scène, on peut regretter que seul le titre de l’exposition traite l’héritage de la langue coloniale. En effet, le terme portugais Oxalá, issu de l’arabe Insh’ Allah (« Si Dieu le veut »), qui comporte plusieurs sens, tous liés au désir d’un futur où d’un événement positif, comme le rappellent les commissaires de l’exposition, représente une belle inversion des influences (ici de l’arabe vers le portugais), l’immigration et l’interpénétration culturelle étant bel et bien un phénomène cyclique qui, si elles sont assumées, peuvent être un bienfait pour tous. Une leçon pour ceux qui n’auraient pas encore compris que le métissage ne peut être qu’enrichissant, biologiquement comme culturellement…

Une forme de retournement des figures que l’on retrouve littéralement dans l’intéressante série de dessins Falling thrones de Márcio de Carvalho, qui fait s’affronter, sous la forme d’athlètes des J.O., une figure de la décolonisation (comme Patrice Lumumba) et une statue de grand colonisateur (le roi portugais João Ier ou le belge Léopold II).

Un beau catalogue et un recueil foisonnant d’essais prolongent cette exposition riche en réflexions sur la colonisation et un art en perpétuelle mutation.

Et pendant que vous êtes au Mucem, profitez-en pour visiter l’exposition consacrée au Salammbô de Flaubert, à l’occasion du bicentenaire de la naissance de l’écrivain, qui, en traitant de l’imagerie exotique de la Carthage antique et quelque part pré-coloniale, offre un écho particulier à la vision des artistes présentés au sein d’Europa, Oxalá.

 

JP Soares

 

Europa, Oxalá : jusqu’au 16/01/2022 au Mucem (Esplanade du J4, 2e).

Rens. : www.mucem.org