L’Épicerie paysanne à la baseline chantante « Miam miam et glou glou, local et de saison » ne désemplit pas. Il règne dans ses rayons un parfum de notre époque, patchouli de bonne conscience et volonté de (ré)apprendre à se nourrir. Elle nous rappelle, avec sa dimension à taille humaine et ses produits frais, ce que nous devons consommer, et ajoute à notre liste de courses la sensation d’acte de citoyenneté.
Cette épicerie de quartier qui se définit comme une Scop — société coopérative de travailleurs — locale et de saison semble avoir des absences sur le Code du travail. Fruit de nombreux combats, il se consomme pourtant sur l’ensemble des saisons, peut se cultiver localement sans aucune nécessité d’exportation et son application sur toutes les zones donne meilleure mine pour passer l’hiver. Les salariés ont eu gain de cause concernant certaines de leurs requêtes après une grève, mais la transparence sur la gestion de la Scop leur reste refusée — nous apprend une brève de Marsactu datée du 13 décembre.
On peut avoir le réflexe de passer sa route devant cette information. Un énième abus vis-à-vis des droits salariaux. Encore un illustre inconnu qui exerce de façon abusive son pouvoir sur d’autres individus dépendants économiquement. Nous ne sommes pas concernés, c’est bon pour la PQR entre les marchés de Noël et les tractations politiques locales de grande envergure. Il ne s’agit pas là d’une révélation d’un système d’une grande enseigne, certes, mais on peut y entrevoir la marque d’un manque de cohérence entre ce qui se vend et ce que l’on croit acheter.
Cet exemple local refoule un autre parfum d’époque : le désir d’acheter éthique prime sur le devoir de payer éthique. L’éthique, cette bonne vieille morale qui se retrouve désormais le plus souvent en binôme avec « responsable » comme argument commercial, gagnerait à tailler la route vers le questionnement collectif. Nos interrogations mènent à ébaucher nos convictions morales, elles orientent et motivent nos actions. Sont-elles si superficielles qu’un légume de saison suffit à les nourrir ?
Au-delà de notre envie d’agir bien, notre besoin de donner du sens dans nos actions quotidiennes gagne à être défendu par la mise en lumière de luttes sociales comme celle-ci, dans des lieux qui se revendiquent d’avant-garde autant dans leur structure que dans leurs produits. C’est parce qu’ils affichent cette ambition qu’ils attirent un public à l’appétit ouvert à l’égard d’un futur plus en conscience et que leur manque d’horizontalité questionne.
L’éthique ne devrait-elle pas être au cœur des rapports de pouvoir avant de nous être proposée à la vente ?
Nadja Grenier