Le Cabaret des absents de François Cervantes, par la compagnie l’Entreprise à la Friche La Belle de Mai
Planches à destins
La dernière création de François Cervantes, Le Cabaret des absents, s’installe jusqu’au 4 février au Grand Plateau de la Friche la Belle de Mai. Jouée pour la première fois en janvier 2021, le succès de la pièce n’a depuis jamais faibli. Pour l’occasion, la compagnie l’Entreprise et la Friche ont mis en place des plats chauds offerts au public ainsi qu’un système de billets suspendus, mettant ainsi en abîme le message social de la pièce.
Le Cabaret des absents est une fable qui prend sa source dans l’histoire vraie du sauvetage par un industriel américain, dans les années 70, d’un Théâtre du Gymnase en péril. De cette anecdote poétique naît une histoire, que les comédiens semblent découvrir et nous conter depuis la scène, se glissant tour à tour dans la peau des protagonistes qu’ils dessinent de tout leur être.
Il y a cinquante ans, Armand Hammer, riche industriel américain, est appelé par Gaston Defferre, alors maire de Marseille, pour la construction d’un site pétrolier à Fos. Il sauve alors in extremis le Théâtre du Gymnase, qui l’a vu naître un soir d’orage, lors duquel ses parents russes en exil y trouvent refuge.
Sans jamais être nommé, le théâtre marseillais est le centre d’une histoire, d’une ville, de relations qui se font et se défont. Cette histoire, les comédiens nous la content, nous offrent à l’imaginer, et la vivent dans le même temps. Nous découvrons un à un les protagonistes qui gravitent dans cette ville et ailleurs, près ou loin de ce noyau artistique.
Et bientôt, les destins de ces personnages s’entremêlent, à l’extérieur et à l’intérieur du théâtre, sur sa scène et dans ses coulisses : un danseur à plumes, un orphelin talentueux, un couple de retraités invités par le directeur, une paire de clowns de ménage, un magicien, un adolescent timide, une ouvreuse qui voyage dans le temps…
La fable nous fait traverser les mers, les années et les caractères, nous mène par le bout des rêves, nous illusionne sans s’en vanter. Au fil du conte — parsemé de tours de chants et autres clowneries —, les comédiens, par leur présence et leurs talents scéniques indéniables, font de nos esprits les dessinateurs d’un conte imagé. Créateur de sa propre lecture, le spectateur s’attache petit à petit à l’histoire et finit par l’intégrer.
François Cervantes dit être « convaincu que c’est la pensée d’un acteur qui met son corps en mouvement, que sa voix est le lieu secret de passage entre sa pensée et son corps, entre l’ordre du dedans et l’ordre du dehors, et que la qualité de présence d’un acteur traverse les cultures et construit une relation directe avec le spectateur. »
Le Cabaret des absents semble à lui seul mettre en scène le lien intrinsèque existant selon lui entre le corps et le verbe. De ce lien découle une pluralité des arts, un enchevêtrement de danse et de chant, de poésie et de musique, de paroles et d’actions. Le masque, cher à son cœur, tient une place centrale, doublé de costumes et maquillages soignés et inventifs.
Le Cabaret des absents est devenu un incontournable à voir, à vivre. Son ancrage dans l’histoire glisse dans la contemporanéité, et nous laisse songeurs quant à la place du théâtre dans nos vies, dans nos rapports à l’autre et à l’art. Plus que jamais, nous prenons conscience du caractère indispensable de ce dernier, et de l’impact effroyable que sa disparition occasionnerait.
Lucie Ponthieux Bertram
Le Cabaret des absents de François Cervantes, par la compagnie l’Entreprise : jusqu’au 4/02 à la Friche La Belle de Mai (41 rue Jobin, Marseille, 3e).
Rens. : www.lafriche.org
Pour en (sa)voir plus : http://www.compagnie-entreprise.fr