L’entretien | Chapelier Fou
Musicien électronique bien connu du public français pour sa créativité singulière, Louis Warynski alias Chapelier Fou mêle ses lignes de violon à une électro aérienne et onirique. Chacun de ses sept albums est une immersion sonore dans son univers. Après l’annulation de la tournée des albums complémentaires Méridiens et Parallèles l’an passé, Chapelier Fou revient avec le projet Ensemb7e, un septuor de musique de chambre. Les musiciens offrent, entièrement en acoustique, une version instrumentale des plus beaux thèmes du répertoire de l’artiste.
Tu es actuellement en tournée avec ton nouveau projet Ensemb7e et tu partages la scène avec six musiciens. Comment t’est venue cette idée ? Peut-on y voir un besoin de reconnexion à autrui en ces temps distanciés ?
En fait, j’avais ce fantasme de jouer dans une petite formation de chambre depuis longtemps et j’ai profité du contexte pour me lancer. Ça m’est venu il y a environ un an, à une époque où on parlait du retour des concerts assis. J’en ai parlé à mon tourneur et à ma manageuse, ça faisait longtemps que je voulais jouer en acoustique dans un petit ensemble. Tout s’est enchaîné vachement vite ; j’ai appelé Patrick Perrin qui est le directeur musical de la Cité Musicale de Metz et le projet l’a intéressé. Trois semaines plus tard, on était en résidence. Il est un peu vrai que la situation a aidé à la réalisation de ce rêve mais je l’avais depuis un moment.
Avais-tu déjà en tête les musiciens qui t’accompagnent sur ce projet ?
Pour certains, oui ! C’est des copains avec qui j’ai joué pendant pas mal d’années. À l’époque de l’album Deltas, je jouais en quatuor avec Camille Momper au violoncelle, Maxime François à l’alto et Maxime Tisserand à la clarinette, et c’est eux que j’ai appelés en premiers. Pour le piano, c’est un gag : c’est un ancien coloc à moi, un très bon copain que je connais depuis le collège et qui n’est pas du tout pianiste ! Il est graphiste, c’est lui qui a fait pas mal de mes pochettes d’albums et certains de mes clips. Le batteur et la clarinettiste sont des amis de ces musiciens : on est une bande de copains, j’avais envie de rester « local ».
Il n’y a pour cette tournée ni ordinateur ni électronique sur scène. Qu’est-ce que ça change dans ton expérience de la scène, toi qui avais plutôt l’habitude de t’accompagner de machines ?
Ça change tout ! Déjà, je ne suis pas un bon violoniste donc ça m’a obligé à travailler un peu, surtout que je suis entouré de gens qui me font bien sentir malgré eux que j’ai du travail ! D’autre part, ça me rassure vachement de me dire qu’on peut jouer sans électricité. Je suis un fou de technologie, d’ordinateur et de programmation, mais ça m’effraie qu’on soit autant dépendants de technologies qu’on ne maîtrise pas. Ce qui m’angoisse aussi à propos des ordinateurs, c’est la question des données : en tant que musicien électronique, je suis dépendant d’une certaine obsolescence. On dépend aussi de datas et le jour où les logiciels ne tournent plus, on est dans la merde ! Musicalement parlant, ça ne me paraît pas normal, moi qui viens du conservatoire et qui ai appris la musique sur partitions. Je vis dans cet idéal de musique écrite et composée ; il n’y a pas mieux comme lieu de stockage que l’esprit humain.
Les morceaux joués sur scène sont des morceaux de ton répertoire, initialement composés et joués par ordinateur. Dans la formule acoustique, y a-t-il une place pour l’improvisation ?
Ça reste une musique assez bien écrite avec, selon les morceaux, des espaces de liberté ; tout n’est pas totalement figé et j’ai envie que les musiciens s’approprient ma musique. Je fournis l’essentiel des morceaux ; après, il nous arrive des modifier les arrangements en fonction de nos goûts et envies.
Tu as sorti récemment un inédit, Amoxicilline. Ce morceau a-t-il été composé avec les autres musiciens d’Ensemb7e ?
Non, je l’ai composé seul. Je n’ai pas encore répondu à la question de la composition pour l’ensemble, c’est une question ouverte. Ce n’était pas l’idée au départ. J’ai été surpris par l’ampleur qu’a pris le projet, je ne pensais pas qu’on tournerait ! On doit beaucoup à l’Arte Concert sans lequel, honnêtement, nous n’aurions pas eu le même succès. J’ai initialement arrangé des morceaux existants ; écrire directement pour l’ensemble est une autre approche. J’aimerais et j’espère en être capable, ce n’est pas du tout dans mes habitudes.
La tournée est déjà bien entamée, comment ressens-tu l’accueil du public quant à ce projet ?
On reçoit un super accueil et le public est très varié. C‘est curieusement le truc le plus populaire que j’ai fait, ça devient plutôt vaste alors que pour moi cette musique est assez barrée. Je n’ai jamais autant joué devant des gens qui ne connaissaient pas du tout ma musique. On joue plus dans des théâtres et des scènes nationales, le public est un peu plus âgé parfois, je touche un public beaucoup plus large sans perdre pour autant les gens qui m’appréciaient.
Ta carrière a été lancée par les découvertes électro du Printemps de Bourges en 2008. Depuis, tu as été très prolifique et ton succès ne faiblit pas. Dans une industrie musicale où tout passe très vite, comment expliques-tu ta longévité ?
C’est peut-être parce que je ne suis pas si connu que ça. Il y a une certaine mesure : il y a beaucoup de groupes qui explosent mais qui ne durent que trois/quatre ans. Mon projet est modeste et je pense que cette espèce de « plateau » est possible à certains niveaux de notoriété. Je pense être dans la juste mesure entre le petit groupe du coin et le groupe à succès flamboyant qui a sorti un tube à succès. À mon niveau, je peux vivre de ma musique sans faire de concessions artistiques et j’en suis satisfait.
Y a-t-il dans les mois à venir des projets que tu attends avec impatience ?
Je n’ai pas ressenti ça depuis très longtemps et ce n’est pas forcément mon style, mais je vise une année sereine. J’ai envie de jouer avec l’ensemble dans un environnement bienveillant et sans stress. On est une petite troupe, je suis heureux de tourner avec ça car ça va me permettre d’expérimenter d’autres choses dans mon coin. L’année 2021 a été très dense et j’aspire à profiter des fruits de notre travail et d’avoir le temps de créer de nouvelles choses pour éventuellement revenir l’an prochain avec un projet électronique.
Propos recueillis par Lucie Ponthieux Bertram
Chapelier Fou – Ensemb7e : le 10/03 au 6Mic (Aix-en-Provence).
Rens. : www.6mic-aix.fr
Pour en (sa)voir plus : www.chapelierfoumusic.com