Kid Francescoli © Vittorio Bettini

L’entretien | Kid Francescoli

Avant que d’aller parsemer le monde de son électro très demandée, notre cher Kid Francescoli se paye une petite date de la tournée Lovers « à la maison », le 25 mars à l’Espace Julien. Mathieu Hocine, qui a fait de sa passion du football un pseudo de scène, nous a reçu dans son studio de poche fraîchement redécoré de la rue Paradis — une répèt’ de Dead with Elvis pour léger fond sonore — et a accepté de laisser aller souvenirs et pensées à l’évocation de huit mots clefs liés à sa carrière.

 

 

Si je te dis « OM » ?

L’OM, c’est ma passion première en dehors de la musique. C’est même ma passion la plus ancienne ! Ça m’a pris quand j’avais dix ou douze ans. J’avais l’âge idéal, à l’époque idéale qu’a connue le club, puisque c’était le début des années Tapie, avec des joueurs fantastiques. Ce truc m’a jamais lâché, je continue à le suivre, à aller au stade, j’ai ma carte d’abonné, mon petit bar en bas de la maison pour voir les matchs à l’extérieur. Je pense que ça représente 50 % des conversations entre potes, sur WhatsApp et compagnie pendant la semaine ! C’est presque comme un histoire d’amour, en fait. Le seul moment où ça m’a un peu « lâché », c’est quand j’ai travaillé pour OM TV. J’étais ingénieur du son pour eux pendant assez longtemps, du coup j’ai un peu lâché en tant que supporter parce que je n’étais plus au stade. Malgré les années de disette et d’ennui mortel au stade, mon enthousiasme est sans cesse renouvelé. Pour beaucoup, c’est juste un sport — et je comprends tout à fait les gens qui n’adhèrent pas avec le concept de supporters —, mais avec mes potes, avoir cette passion et cette ferveur pour des gens qu’on ne connaît pas, c’est une façon de se retrouver, un lien fort entre nous. On a encore dix ans à chaque fois qu’on va au stade et qu’on monte les marches, on est surexcités, tous, et on continue à monter en courant !

 

« Mad Legs »

Ah, très bonne question ! Tu es remontée très loin ! Mad Legs, c’est ma première chanson. À l’époque, je faisais de la musique avec un groupe qui s’appelait Vélodrome ! (rires) On était en formation basse/batterie/guitare et c’est à ce moment que j’ai eu envie d’être « producteur ». Je sentais que l’inspiration pouvait venir du processus inverse d’un groupe : être tout seul, c’est pouvoir tout faire ! C’était ça, ma révélation, et c’est ce que j’ai fait sur Mad Legs : la première partie de la chanson, c’est de la guitare électrique avec une batterie acoustique, et la deuxième, c’est une guitare acoustique sur un rythme électronique. En groupe, on ne l’aurait jamais fait ! J’étais très content de ce morceau. Quand tu commences à faire de la musique, tu es dégoulinant d’inspiration et d’idées ; dans ma tête, j’avais dix albums de réserve ! C’est justement sur ce morceau que j’ai le plus donné d’un coup. C’est amusant que tu parles de ça parce que je me rends compte que les trucs qui continuent à toucher les gens dans la musique étaient là presque dès le début. Là, y’avait un truc un peu intime : des douleurs aux jambes que j’avais à cette époque là. J’ai appris que j’avais une maladie génétique que j’ai à peu près réussi à calmer. Ça m’était « confortable » de parler de quelque chose de très intime. On s’est rendus compte de ça aussi quand on a fait les albums avec Julia, on se disait qu’au plus c’était intime, au plus ça parle aux gens parce qu’ils s’y retrouvent. Je ne réécoute jamais les anciens albums mais quand je tombe dessus, c’est toujours avec beaucoup d’affection.

 

« Husbands »

Husbands, c’est le projet qu’on a, qu’on avait, je ne sais pas si on peut en parler au présent, au passé ou au futur car c’est entre parenthèses pour l’instant. C’était notre projet avec Oh ! Tiger Mountain et Simon Henner de French 79 à un moment un peu charnière, parce que c’est à ce moment qu’on a commencé à créer cette scène tous ensemble. Quand j’ai commencé à jouer de la musique, je voyais Yuksek & Brodinski à Reims, la scène rock bordelaise ou parisienne, tandis qu’à Marseille, on n’avait rien ! J’ai eu l’impression qu’on l’avait créée, cette scène marseillaise, avec Husbands ! Un an avant, quand ça ne marchait pas, je voulais aller vivre à New York, je me disais que c’était peut-être là-bas qu’il allait se passer quelque chose. Et avec Husbands, il s’est passé l’inverse : là, il se passait vraiment un truc, et je me suis dit « Tu ne peux pas partir maintenant » ! C’est une période que je chéris toujours, et je garde de très bons souvenirs sur scène et en tournées avec le groupe. Maintenant, chacun de nos chemins est très chargé. Perso, entre chaque date de la tournée, je vais rentrer au studio pour bosser sur le prochain album, et ça va être comme ça pendant les six prochains mois ! Je n’ai pas beaucoup de temps pour autre chose.

 

« Moon »

Moon, c’est le morceau qui m’a propulsé. Il y a clairement un avant et un après Moon. Mais ce qui est bien, c’est que l’avant et l’après n’étaient pas si écartés que ça. Le meilleur exemple, c’est la tournée aux États-Unis : avant Moon on avait une tournée de quatre dates là-bas et depuis le succès du titre, on en a une dizaine, ainsi qu’au Canada et au Mexique. C’est super, mais on avait déjà une tournée internationale de prévue. J’ai de la chance que le succès ne soit pas arrivé au premier album, quand j’avais vingt-cinq ans et alors que je n’avais jamais fait de concert. Je ne sais pas comment j’aurais survécu à ça et je comprends très bien comment les plus jeunes pètent un câble quand il leur arrive ce genre de truc. Moi, malgré mon âge et l’expérience qu’on a des concerts, ça me fout quand même une certaine pression ! Quand tu vois l’effet que ça a sur les gens autant dans les messages qu’on t’envoie que sur scène, tu te dis : « Comment je vais faire pour en refaire un comme ça ? Est-ce qu’il faut que j’en refasse un ou autre chose ? »… Tu te poses beaucoup de questions ! Ce n’est pas un cadeau empoisonné mais c’est parti de manière exponentielle, pour mon plus grand plaisir, les prochaines dates de la tournée sont un rêve éveillé ! Le nombre de dates, les salles… C’est ce que je fantasmais petit quand je voulais faire de la musique.

 

« Olympia » ?

L’Olympia fait aussi partie de cette liste de rêves cochés. Dans ma sensibilité, ma culture, je m’étais forcément dit que les deux Saint Graal, s’il y en a, ce serait l’Olympia et la tournée aux États-Unis. Émotionnellement, c’était fou. C’est mythique, quand tu vois ton nom affiché dehors en énorme ! J’ai vu aussi l’impact que ça avait sur les gens : quand tu dis que tu fais de la musique et que tu fais l’Olympia, tu rentres d’un coup dans une autre catégorie ! Et pareil avec la famille : ma grand-mère par exemple, qui a un certain âge maintenant et qui se réjouissait simplement que j’arrive à vivre de ma musique et que je ne dorme pas dans la rue, quand je lui ai dit que je faisais l’Olympia, elle a écarté les yeux et m’a dit qu’elle était super fière de moi ! Pour elle, l’Olympia c’est Gilbert Bécaud et compagnie.

On avait déjà joué devant des publics plus gros, mais à l’Olympia, ça a un impact, c’est émouvant. Tu passes en loges, tu imagines les artistes qui y sont passés avant toi. Il y a de la déco partout : au bout d’un moment, tu arrêtes de regarder les photos parce que ça te fout trop la pression ! Tu vois James Brown, Marvin Gaye, les Beatles… Un peu avant de monter sur scène, j’ai eu un trou noir ! Après les balances, tu manges, tu fais un peu de promo et là, tu n’as plus rien à faire pendant trois heures. Tu as bien le temps de réfléchir ! J’ai pensé des trucs comme « Je vais arrêter, je suis un imposteur, les gens vont le voir ce soir »… Ça m’avait déjà fait ça au Trianon et c’était resté sur scène, j’avais une boule qui a mis du temps à partir. Je ne voulais surtout pas me gâcher l’Olympia de la même manière, et en fait, tout s’est bien passé. Au deuxième morceau, j’ai réalisé ce que j’étais en train de faire et je me suis laissé aller, j’étais en lévitation. Tous les concerts avant cette date, tu y penses et tu comptes les dates restantes avant celle-là ! Les jours qui suivent, tu sens que tu as franchi un truc.

 

« Chanteuses »

Je suis en train de préparer le nouvel album, et je m’étais dit que j’allais faire un truc un peu plus instrumental, mais il y a un morceau sur lequel je butais un peu. J’ai reçu des voix d’une chanteuse que j’avais contactée et après avoir buté pendant huit mois, le morceau était terminé en une après-midi ! Les chanteuses continuent à m’apporter la lumière. Pas tout le temps, mais je me rends compte que je finis toujours par mettre un peu de voix dans mes morceaux. C’est pas un « vernis », mais ça amène du réel, ça « concrétise ». La voix reste toujours une source d’inspiration et de validation : quand je suis avec mes machines, mes boucles, mes mélodies et mes lignes de basse, j’ai l’impression d’être dans une sorte de magma et dès qu’une voix se pose dessus, ça définit le truc, ça devient une étoile, un morceau qui est fini et qui sort du lot, et tu peux passer à autre chose. Sur scène aussi, avec les chanteuses, je me sens à la fois protégé — je ne suis pas un frontman — et mis en avant. Les voix me portent. J’ai déjà envisagé de faire un projet totalement instrumental, mais la voix a une émotion dont je ne peux pas me passer.

 

« Inspirations »

Je peux t’en parler, vu que je suis en train de composer. Et en fait, je ne sais toujours pas ! Avant, je n’étais inspiré que par les voyages, j’avais la bougeotte et l’impression qu’ici il ne se passait rien ! Je suis parti à New York, à Tokyo, à l’autre bout du monde. Pour le dernier album, c’est la tournée qui nous a fait faire le tour du monde, en Chine, en Indonésie, au Liban, en Afrique du Sud… et à chaque fois que je revenais à Marseille, j’étais le plus heureux ! C’est ce cocon qui m’a beaucoup inspiré sur Lovers. Des fois, tu regardes un film et il y a une phrase, à un moment, qui t’amène une idée. Des fois c’est juste un mot, une scène, quelque chose que tu entends dans la rue… Il n’y a aucune règle ! Un jour, j’étais chez moi devant un morceau sur lequel je bossais. Je m’étais embrouillé avec un pote et ça me tenait à cœur. Ça te fait l’effet d’un caillou dans la chaussure, tu vois ? Il m’a envoyé un texto au bout de quelques jours pour me proposer qu’on se voit. J’étais tellement content que ça m’a fait finir le morceau ! Il ne parle pas de ça, mais des fois ce sont des émotions qui te font avancer dans la composition. En ce moment, mes racines et mon passé m’inspirent. Ce sont les petites étincelles de la vie qui t’inspirent. À la base, il y a surtout la musique : au départ, je prenais la ligne de basse de Air, une suite d’accords d’Ennio Morricone, le rythme de Dj Shadow et je faisais un morceau ! Ce qui m’inspirait le plus pour faire de la musique, c’était d’en écouter. C’est sans fin.

 

Et pour finir, “Souhait(s)” ?

Que ça continue… Ma plus grosse peur, c’est que ça s’arrête. Depuis le début, la pente est ascendante, et je sais très bien qu’au bout d’un moment, ça s’arrêtera. Je veux continuer à faire des concerts qui amènent de plus en de monde, que j’arrive à faire le prochain album et qu’on tourne avec. Que tout ce que je t’ai raconté continue.

 

Propos recueillis par Lucie Ponthieux Bertram

 

Kid Francescoli : le 25/03 à l’Espace Julien (39 cours Julien, 6e).

Rens. : https://www.espace-julien.com/fr

Pour en (sa)voir plus : https://kidfrancescoli.com