Et Moi ! par Lieux Fictifs à la Friche La Belle de Mai
L’odyssée des espaces
L’association Lieux Fictifs nous embarque une fois encore vers des hétérotopies visionnaires, cette fois créées par les jeunesses, vers un « Terrain Commun », pour une première édition « Des Jeunesses à la Friche ». Porte d’entrée : la Salle des Machines et l’espace Petirama. L’exposition Et Moi ! compte treize films et quelques œuvres plastiques fixes, un ensemble mobile, mobilisé et mobilisant.
Il y a presque deux ans, nous faisions un état des lieux — non fictifs, mais bien réels pour le coup — des projets que l’association porte depuis près de trente ans. Depuis la création du studio de cinéma au sein de la prison des Baumettes — une installation associée à l’élaboration de Télé Vidéo Baumettes, la première chaîne télé depuis et pour les détenu·e·s qui coïncidait avec l’installation de téléviseurs dans les cellules —, Caroline Caccavale et José Césarini ont été rejoints par bien d’autres artistes qui pratiquent le film, comme Emmanuelle Raynaut qui a travaillé sur cette exposition. Et d’autres encore qui se sont plus récemment mis·es à le pratiquer !
Cette fois-ci, l’idée se proposait de relayer les voix et les regards des jeunes, encore trop enclavés dans des espaces géographiques, générationnels et culturels. Sur trois ans (2016-2019), au fil de plusieurs villes comme Aubervilliers, Lille, Calais et, bien sûr, Marseille, Lieux Fictifs a mené des ateliers avec des adolescents, des jeunes suivi·e·s soit par la protection judiciaire de la jeunesse, soit par des éducateur·ice·s, comme ici, par l’Adapp13 (association départementale qui œuvre dans le centre ville de Marseille, les quartiers Nord et aux alentours) ; soit des mineur·e·s incarcéré·e·s.
On peut alors se perdre et se rêver dans ces regards, écouter — c’est rare ! — ces cent-quarante voix depuis les salles d’exposition, puisqu’autant de jeunes ont participé à ces ateliers. Le projet a de l’envergure, et le résultat aussi. Disons d’abord que les films sont faits soit d’images d’archives, soit d’images de jeux vidéo, soit d’images filmées depuis les téléphones portables. Le processus artistique vaut la mention : les images d’archives de l’INA, du CNC et de la BnF sont proposées comme matériaux bruts pour créer des histoires, qui relèvent parfois de la science-fiction, parfois de l’autobiographie fictive. « On était tout le temps travaillés, bousculés par l’actualité : les jeunes avançaient des possibilités, issues de leurs imaginaires, qui trouvent écho dans une actualité fine », apprécie Caroline Caccavale. Arfata, l’une des jeunes participantes et habitante du quartier Félix Pyat, a pu exprimer son incompréhension face à l’oubli « du maire, des politiques » : « Mon quartier est juste à côté de la Joliette. Quand tu y sors, tu vois : tout est beau, bien, puis là tu marches deux pas pour rentrer… c’est un autre monde. » Son film semble en effet vouloir donner des voix et des visages à ce quartier qui en est privé.
On vous laisse aller vous faire bousculer vous aussi par ces films qui mêlent intimement et singulièrement poétique et politique, depuis leur genèse jusqu’à leur projection. La question de la place des jeunes artistes, en tant que personnes et en tant qu’artistes, se joue sensiblement parce qu’ils et elles y portent « à la fois un regard sur eux-mêmes, sur l’autre, et sur le monde ». Lieux Fictifs a fait le pari d’apporter une chambre d’écho à ces récits, puis de les faire ricocher hors des enclaves : les espaces en sont sensés, esthétisés, politisés. Pari gagné.
Margot Dewavrin
Et Moi ! : jusqu’au 24/04 à la Friche La Belle de Mai (41 rue Jobin, 3e).
Rens. : www.lieuxfictifs.org