La combine de la métropole pour ralentir la construction de logements sociaux
L’aide à la pierre est un financement indispensable pour la construction de logements sociaux. Délivrée par la métropole, elle peut aussi se transformer en redoutable outil politique pour les maires réfractaires au logement social.
Il y a ces histoires innombrables de familles qui se retrouvent à la merci de marchands de sommeil parce qu’elles n’arrivent pas a accéder au logement social. Alors qu’elles y ont droit. Il y a les chiffres aussi, qui vont de mal en pis. Sur le territoire métropolitain, seulement une demande de logement social sur huit est honorée, contre une sur 3,3 en France. Fin février, le préfet des Bouches-du-Rhône alertait sévèrement sur le sujet. « Il y a une nécessité à relancer la construction de logements sociaux, c’est une priorité majeure, je dirais une urgence, prévenait-il lors de la conférence des maires de la métropole. Si nous ne répondons pas collectivement à ce besoin, nous aurons des tensions, des risques d’explosion. »
Afin de répondre à ce besoin, l’État a pourtant signé, en 2017, une convention avec la métropole qui court jusqu’en 2022. Cette dernière, à sa propre demande, est depuis chargée de distribuer une aide de 86 millions d’euros aux promoteurs et bailleurs qui souhaitent construire du logement social : l’aide à la pierre. Sur cette manne, seulement 60 ont été dépensés depuis le début de la convention. Si le territoire a connu une chute globale de la construction, celle-ci ne peut justifier à elle seule la crise du logement social, plus grande encore sur la ville de Marseille. La machine est grippée et la métropole, au guichet, a trouvé le moyen de freiner les projets. Transformant une aide d’État en outil plus politique qu’automatique.
Le graal du logement social
L’agrément pour l’aide à la pierre délivré aux promoteurs et/ou bailleurs constitue le graal du logement social. L’obtenir est synonyme de subventions mais aussi des prêts très avantageux. Sans elle, il serait intenable économiquement de construire pour louer ensuite à bas coût. « C’est simple, on ne peut pas faire autrement qu’avec un agrément », pose Robin Hamadi, directeur de l’association régionale HLM PACA-Corse.
Dans le circuit classique, bailleurs et promoteurs déposent leur dossier auprès de la métropole après avoir obtenu un permis de construire, qui est lui délivré par la mairie, après consultation des mairies de secteur pour le cas de Marseille. L’intercommunalité doit alors s’assurer que le projet correspond bien aux besoins du territoire et de la solidité de son montage économique avant de délivrer son agrément.
Mais la métropole a mis en place un circuit bien à elle. Elle a choisi de relancer un tour de consultation avec les mairies concernées. Le rôle de celles-ci, qui ont déjà autorisé l’opération via le permis de construire, n’est cadré par aucun texte. Or, au sein de la métropole Aix-Marseille, l’avis des maires peut largement dépasser la consultation et s’avérer déterminant dans les instructions. Un fonctionnement en forme de coupe-circuit, dans lequel le coup de pouce indispensable peut devenir un frein, voire un verrou.
Officiellement, la métropole dément ce dysfonctionnement et assure qu’il « n’y a pas d’absence de crédits de l’État ou de difficulté d’instruction des dossiers. » Elle ajoute qu’« à Marseille notamment, pour l’année 2021, tous les dossiers en état d’être instruits ont été agréés après ces échanges. Aucun refus n’a été formulé ! » Mais c’est surtout en amont, que ce système engendre des effets délétères. Selon plusieurs sources, l’instruction réelle sur la solidité des montages économiques, écourtée du fait de ces aller-retour informels, n’est plus construite et testée avec autant de précision. En 2021, le compteur des dossiers déposés est resté bloqué à zéro jusqu’au dernier trimestre avant qu’ils arrivent par paquets à la métropole. La métropole dit « subir » ce phénomène qui serait du seul fait des bailleurs. Elle ajoute avoir mis en place « un renfort d’équipe pour analyser les dossiers dans les délais contraints. » Pourtant, plusieurs exemples de dossiers ralentis, voire modifiés par le circuit décrit plus haut existent.
Des projets retardés ou modifiés
En témoigne la bataille entre un promoteur et le maire de Plan-de-Cuques, que Marsactu vous racontait en novembre. « C’est dans ce cadre que l’agrément nous a été refusé, le maire de Plan-de-Cuques n’a pas donné son accord », expliquait alors Pierre Fournon, le directeur régional de la CDC Habitat, le bailleur social de la Caisse des dépôts. En s’opposant entre autres à l’attribution de l’aide à la pierre, l’édile avait pu aller à l’encontre du permis de construire accordé par son prédécesseur. Si le projet a finalement été agrée, ce n’est qu’après une action en justice lancée par le promoteur. De plus, l’avocat de ce dernier n’a pu pas confirmer à Marsactu que le programme verrait bien le jour, des questions d’indemnisation n’étant toujours pas réglées. À Marseille, où les besoins sont encore plus criants, certaines mairies de secteur donnent le la.
Les méandres de l’aide à la pierre mènent par exemple à la rue Verdillon. À Saint-Tronc, les travaux d’un nouvel immeuble ont enfin commencé. Pourtant, la sortie de terre de ce programme situé dans le 10e arrondissement n’était pas gagnée d’avance. Le bâtiment en construction, qui comportera près de 80 logements sociaux, a fait l’objet de longues négociations entre le promoteur, le bailleur et le maire de secteur. « Le maire a négocié sur l’architecture, pour que ce soit plus joli, mais aussi sur le type de logement, pour que ça soit plutôt de l’intermédiaire que du très social », confie-t-on dans le voisinage. Contacté, le promoteur ne dit pas autre chose. « Il y a sur cette opération 30 % de logements sociaux et 70 % de logements intermédiaires. L’inverse par rapport au projet initial », détaille Jean-François Maurel, directeur adjoint chez Cogedim Provence.
Une négociation de la part de logement social à la baisse que Lionel Royer-Perreaut, maire (ex-LR) des 9/10 et par ailleurs élu la métropole chargé de cette aide à la pierre, assume complètement. « Il y a dans le secteur déjà beaucoup de logement social. J’ai plutôt plaidé pour une mixité inversée. Quand un immeuble s’inscrit dans une zone à problèmes, il vaut mieux éviter le PLAI [logement social pour les personnes en grande précarité, ndlr]. Moi je fais de tout, il en faut pour tout le monde et il faut arrêter de croire qu’il n’y a que la gauche qui a une vision sur le logement social. » Lorsque l’on regarde dans le détail pourtant, entre 2016 et 2020, 22 PLAI seulement ont été agrées dans le 9/10, quand, à titre de comparaison, il y a en a eu 277 dans les 15/16.
À Marseille, une guerre entre mairie centrale et mairies de secteur
Alors, Verdillon, cas isolé ou symbole ? Une exception, jure Lionel Royer-Perreaut pour qui « 90 % du temps, il n’y a pas de sujet. » « Quand elle n’avait pas l’aval des maires de secteur, la métropole n’a pas délivré les agréments, corrige, agacé, Patrick Amico, adjoint au maire de Marseille au logement et conseiller métropolitain dans la commission correspondante. Tout le monde est d’accord pour faire du logement social, mais pas dans son jardin. » Dans les couloirs de la métropole, on cible bien le problème. « Sur Marseille, il y a une guerre entre la mairie centrale et la métropole, certains élus de l’ancienne majorité bloquent les dossiers, y glisse-t-on sous couvert d’anonymat. Il y a des refus tacites, aucune réponse, aucun motif de politique publique n’est donné. Rien ne cadre cela, c’est le fait du prince. » Pascal Gallard, directeur de l’association régionale des HLM (ARHLM PACA-Corse) de 2018 à 2021, fait le même constat. Pour lui, « la résistance des maires qui ne roulent pas pour le Printemps marseillais et qui sont réfractaires au logement social » se fait bien ressentir sur le territoire. « Je n’ai jamais entendu parler de dossiers refusés, mais de dossiers pas accordés, oui », indique-t-il.
Quelle est l’ampleur exacte de ce dysfonctionnement dans le retard de la production marseillaise de logement social ? Difficile à évaluer, estiment les acteurs du secteur. « Il faut aussi prendre en compte la topologie de la ville, cernée par la mer et la montagne », précise Robin Hamadi, l’actuel directeur de l’ARHLM PACA-Corse. « Et le fait que la mairie de Marseille veut faire dans le qualitatif, mais ça, personne ne le conteste », ajoute Pascal Gallard, son prédécesseur. Mais pour ce dernier, l’impact des maires réfractaires au logement social est également bien réel sur la ville.
Une métropole sans feuille de route
Une chose est claire, si ce circuit opaque et discrétionnaire a pu être mis en œuvre, c’est surtout parce que la définition du besoin n’est pas claire. La métropole n’a toujours pas de programme local de l’habitat, la feuille de route pour le logement qui devrait faire foi. Pour ne pas tendre sa majorité sur la question des logements sociaux, Martine Vassal avait mis à la corbeille une version qui était prête à être votée quelques mois avant les élections municipales 2020. Depuis, la métropole navigue à vue sans document de référence.
Ce document était pourtant la condition sine qua non de la délégation de l’instruction des aides à la pierre par l’État à la métropole, en 2017. Mais cinq ans plus tard, le plan local de l’habitat (PLH) n’existe toujours pas. Dans un rapport publié en juin 2020, la chambre régionale des compte cible précisément le problème : « À la date où la chambre a arrêté ses observations définitives, le PLH de la métropole Aix-Marseille Provence n’était toujours pas arrêté, écrivent les rapporteurs. L’exercice de la délégation sur l’ensemble du territoire métropolitain apparait ainsi irrégulier […] La non adoption d’un PLH métropolitain et le maintien d’un dispositif transitoire, constituent un frein au respect d’objectifs de SRU », la loi de solidarité et de renouvellement urbain qui fixe un objectif de 25 % de logements sociaux sur un territoire.
De son côté, l’État semble avoir perdu toute visibilité sur la question. En 2020, il a même laissé la métropole instruire de A à Z les dossiers de demande d’agrément pour l’aide à la pierre. « Alors qu’elles étaient auparavant instruites par l’État pour le compte du délégataire », indique le service communication de la préfecture. Aujourd’hui, « nous ne savons pas comment fonctionne la métropole », concède Alain Ofcard, directeur adjoint de la DDTM, la direction départementale des territoires et de la mer.
Conscients de l’enjeu, les différents acteurs assurent désormais que la donne va changer dès la campagne d’agréments 2022, en fin d’année. D’un côté, le PLH devrait être voté par les élus métropolitains. De l’autre, Lionel Royer-Perreaut et Patrick Amico disent avoir passé un accord. « Nous avons eu une discussion très franche et courageuse, se targue l’élu au logement Patrick Amico. L’instruction ne passera plus par les mairies de secteur, c’est terminé. Maintenant, c’est la mairie centrale qui donne un avis. » Deux ans après l’arrivée aux manettes du Printemps marseillais, donc. « Dorénavant, c’est la mairie centrale qui arbitrera après avoir consulté les mairies de secteur, et qui enverra l’avis à la métropole », confirme Lionel Royer-Perreaut. Mais celui dont on ne sait plus bien quelle casquette le coiffe ne peut s’empêcher d’ajouter : « Ce sont les maires de secteur qui se font élire. Il faut une politique associée, ces derniers doivent être consultés et accompagner les projets, sinon il y aura des blocages. Au final, c’est nous qui donnerons l’agrément. » Il faudra attendre le bilan 2022 pour savoir si le vent du changement a soufflé et si, les demandeurs en attente peuvent espérer voir de nouveaux logements disponibles plus rapidement.
Violette Artaud