Exposition Abd el-Kader au Mucem
Émir et images
L’exposition Abd el-Kader présentée au Mucem nous permet de découvrir la richesse et la complexité d’un personnage qui s’inscrit dans les histoires respectives de la France, de l’Algérie et du Proche-Orient. Dans une scénographie efficace, l’exposition propose des textes, des objets orientaux, de chatoyants tableaux orientalistes, des portraits, dont quelques très belles photographies d’époque (l’émir était plutôt bel homme…) et une iconographie variée, témoignant d’une abondante postérité des deux côtés de la Méditerranée.
Interrogez quelques personnes autour de vous en demandant qui était l’émir Abd el-Kader : il est fort probable que sera évoqué l’épisode de la prise de la smala dudit émir, événement relevant de l’imagerie de l’histoire coloniale française, pendant longtemps popularisée à l’école.
Organisé chronologiquement, le parcours du Mucem, jalonné de nombreuses pièces inédites, nous révèle un homme qui fut successivement résistant et chef de guerre, initiateur d’un premier État algérien, prisonnier charismatique en France, penseur lettré d’un islam ouvert, épris de modernité occidentale, défenseur des chrétiens d’Orient, pont entre l’Orient et l’Occident.
Né en 1808, Abd Ek-l Kader est désigné très jeune comme chef de la résistance, à l’expédition militaire française de 1830 (suite au coup d’éventail du dey de 1827…).
L’épisode de la prise de la smala en 1843, campement conçu stratégiquement par Abd el-Kader comme une ville nomade de plusieurs dizaines de milliers d’habitants, est reproduit à la peinture dans un tableau. Le Duc d’Aumale l’investit presque sans coup férir, l’émir et ses hommes étant alors absents. Louis-Philippe a voulu glorifier le succès de son fils en commandant à Horace Vernet un immense tableau, de vingt-cinq mètres par quatre, le plus grand tableau du XIXe siècle ! Impossible à accueillir tel quel au Mucem, il est présent dans l’expo depuis le château de Versailles, grâce à une remarquable vidéo grand format montrant la composition et les détails significatifs de l’œuvre monumentale.
L’exposition nous livre ensuite un Abd el-Kader fascinant ses geôliers et ses nombreux visiteurs, parmi lesquels on trouve Ferdinand de Lesseps, lors de sa période de captivité en France pendant cinq ans, à Pau puis à Amboise. Ce dont témoignent des correspondances, des objets intimes et des photographies, dont un cliché pris en 1851 à Amboise par Gustave Le Gray, pionnier de la photo, et exposé pour la première fois.
En 1853, s’ouvre pour l’émir enfin libéré par Napoléon III un exil en Orient, d’abord en Turquie puis à Damas. Abd el-Kader se consacre à sa foi en un islam de tradition sunnite, dans la lignée des grandes figures de la spiritualité soufie telles Ibn Arabi. Il a accompli plusieurs fois le pèlerinage de La Mecque, ce qui est évoqué par un grand tableau de Léon Belly, de 1861, qui représente une caravane chamelière, long cortège paraissant s’avancer vers le spectateur comme dans un saisissant mouvement de travelling cinématographique. Le pèlerinage est aussi présent avec des objets tels qu’un compas indicateur de qibla, ou une gourde en terre cuite.
L’émir correspond, écrit, édite, notamment une autobiographie spirituelle, le Livre des Haltes (Kitâb al-Mawâqif), fait de trois-cent-soixante-douze fragments, dont un manuscrit se retrouve exposé.
L’émir voyage, en Orient et en Occident : ainsi, il visite deux expositions universelles à Paris, en 1855 et 1867, assiste à l’inauguration du Canal de Suez en 1869, ces événements donnant lieu à de nombreux articles dans la presse d’époque, dans L’Illustration, Le Journal Illustré ou Le Charivari. Cette abondante documentation, désormais déposée au Mucem, est notamment issue des collections de Christian Delorme. La popularité de l’émir est encore amplifiée par l’épisode des émeutes anti-chrétiennes de Damas en 1860, où Abd el-Kader se porte avec ses hommes au secours de ces chrétiens d’Orient. Cela lui vaudra la Légion d’Honneur, qu’il arbore sur certains portraits. Un bel ensemble d’images d’Épinal illustre l’engouement décuplé pour la figure héroïque de l’émir.
Après sa mort à Damas en 1883, la postérité de l’émir prendra diverses formes, en France puis en Algérie. Il sera représenté sur des supports très divers, sorte d’objets dérivés à l’effigie d’Abd el-Kader : boîte à savon, encrier, images publicitaires pour du chocolat ou de la chicorée, assiettes décorées, médailles, et même une variété nouvelle de fraises dénommées « Abd el-Kader ». Longtemps en France, dans les ouvrages scolaires et la littérature enfantine, l’émir apparaitra comme un guerrier valeureux vaincu par la puissance coloniale française.
En Algérie, dès 1947, le jeune poète Kateb Yacine chante l’émir. Mais c’est surtout après l’indépendance que l’émir devient une figure majeure, le nouvel État faisant transférer depuis Damas ses restes, déposés dans le Carré des Martyrs de la Révolution à Alger. Une brève vidéo permet de revivre cette cérémonie présidée en 1966 par Houari Boumédiène, circonstance commémorée également par des timbres.
Suivant une pratique renouvelée, le Mucem a commandé une œuvre contemporaine, conçue en contrepoint final à l’exposition. L’artiste plasticienne algérienne Amina Menia propose donc Material for a landscape, pièce architecturale d’une blancheur toute méditerranéenne.
Les commissaires de l’exposition, Camille Faucourt et Florence Hudowicz, assistées de l’historien Ahmed Bouyerdene et de Christian Delorme, nous permettent alors d’approcher de manière sensible une figure importante des histoires mêlées de France et d’Algérie, et font donc œuvre utile en cette année anniversaire des soixante ans de la fin de la guerre d’Algérie.
L’exposition est prolongée par une programmation artistique et culturelle, notamment les 5, 6 et 7 mai, avec projections, concerts, et débats.
Gabriel Ishkinazi
Exposition Abd el-Kader, jusqu’au 22/08 au Mucem (J4, 7 promenade Robert Laffont, 2e).
Rens. : www.mucem.org