C’est arrivé près de chez vous | Culot13
13 à l’aise
Lors de vos promenades rue de Rome, vous avez peut-être croisé un attroupement devant une porte d’immeuble close. Il y a des chances que ce soit devant Culot13, une initiative originale et vivifiante pour démocratiser l’art contemporain, en proposant une exposition d’un ou plusieurs artistes marseillais, visible uniquement chaque treize du mois dans une ancienne vitrine commerçante. Rencontre avec celle qui a eu cette brillante idée, l’artiste Victoire Barbot.
Diplômée des Beaux-Arts de Paris en 2014, l’artiste Victoire Barbot développe depuis ses débuts un travail de dessins et de sculptures qui questionne notre rapport aux objets de consommation. « Tout mon travail provient d’une entreprise familiale qui produisait des pièces détachées de voitures. »
Elle découvre Marseille à l’occasion d’une résidence de six mois à la Friche La Belle de Mai, avant un séjour de deux ans à Mexico. « C’est là-bas que j’ai vu des petits espaces tenus par des artistes, des lieux d’exposition mis en place collectivement, qui ne passent pas par les grosses galeries ou par les institutions. »
De retour en France, elle décide de s’installer dans la cité phocéenne, avec dans l’idée de continuer sa pratique mais aussi de passer « de l’autre côté pour toucher à toutes les questions liées à la commercialisation d’un objet ou d’une œuvre d’art, depuis leur monstration jusqu’à leur médiation, en passant par les questions de location d’un espace, de montage d’expo, de communication ou de rémunération. »
En visitant une amie rue de Rome à Marseille, elle tombe sur une ancienne vitrine commerçante seulement visible depuis le hall de l’immeuble. Très vite lui vient l’idée d’investir cet espace pour y exposer le travail d’autres artistes marseillais. Après avoir contacté le commerçant qui loue cette vitrine, elle monte un projet d’exposition qui devait se dérouler au printemps 2020, en même temps que Manifesta 13, la biennale d’art nomade à travers l’Europe.
Mais la pandémie est arrivée ! « Pendant tout le confinement, je me suis dit que ça valait peut-être le coup de penser à une programmation plus longue, mais avec mes autres activités, je ne pouvais pas être présente de nombreux jours sur place, et surtout je n’avais aucune sécurité quant au gardiennage de nuit des œuvres exposées. […] Comme on est au 13 rue de Rome, pourquoi ne pas faire des expositions juste le treize de chaque mois, sur un format très court… de quelques heures à chaque fois ? Et à ce moment-là, il y avait sur cette porte un tag avec écrit en énorme “CULOT”. » Le nom était trouvé !
Vu l’ampleur de la tâche, Victoire cherche des financements, qu’elle obtient auprès de Mécènes du Sud. Cela lui permet de rémunérer tous les participants au projet… sauf elle !
Outre le fait d’organiser treize expositions, tous les treize du mois, dans un lieu atypique de janvier 2022 à janvier 2023, l’originalité du concept de Culot13 réside aussi dans son fonctionnement. « Ce n’est pas moi qui choisis les artistes, je me place comme passeuse, c’est mon rôle dans cette œuvre qu’est Culot13. » Car pour Victoire Barbot, le projet Culot13 est une œuvre à part entière qui s’inscrit dans sa pratique personnelle.
« Je propose à treize personnes d’inviter à leur tour des artistes. Et parmi ces treize invités, ce ne sont pas que des gens liés à l’art contemporain de très près : il y a des commissaires, des artistes, mais aussi le commerçant d’à côté, un philosophe, un homme politique, une restauratrice. La seule règle, c’est d’aller à la rencontre, en passant par moi ou bien tout seul, de ce qui se fait à Marseille et de proposer à un artiste de participer à Culot13. […] Si les treize “commissaires” sont déjà programmés, il y a des aléas de vie qui font que certains invités ne sont plus disponibles. Mais souvent, entre temps, je rencontre d’autres personnes que ça pourrait intéresser. » C’est d’ailleurs ce qui s’est passé pour l’exposition du 13 mai. « Pour la prochaine exposition j’ai invité, suite à un désistement, Franck Balland qui est un commissaire indépendant que je rencontrais alors qu’il faisait un tour des ateliers d’artistes à Marseille. » Rencontre d’autant plus étonnante qu’il a lui-même tenu un projet similaire, baptisé Tlön, à Nevers.
« Parmi tous les artistes qu’il connaît, Franck m’a proposé Anouk Moyaux, une jeune artiste installée à Marseille à qui il avait fait passer un jury d’école, lorsqu’elle était étudiante. J’ai trouvé ça parfait car Culot13 parle de ça, de retour et de rencontre. »
Après l’exposition des œuvres des artistes Charlotte Perrin, Coline Cassagnou, Ben Saint-Maxent, Doriane Souilhol, Antoine Nessi ou encore Anne-Soline de Vaulx, une jeune artiste autodidacte rencontrée par Victoire lors d’une résidence, Anouk Moyaux va proposer une installation vidéo, « une première dans l’espace de Culot13, avec un travail très sensible où elle réfléchit sur ce lieu mais aussi sur la question de la boucle et du temps. »
Au début de notre entretien, quand on lui fait savoir qu’on est un peu un Candide en matière d’art contemporain, Victoire ne se démonte pas. Au contraire : « C’est très bien ! C’est à ça que sert aussi ce projet. » Son envie, c’est de capter des amateurs, mais aussi des gens de passage. « Pour la première exposition en janvier, ça a très bien marché. J’avais invité trois artistes femmes aux parcours et pratiques très différents, et qui ont pu parler de leur travail alors que moi, j’étais à l’extérieur, à essayer de faire venir des gens de la rue. Pour moi, les meilleurs moments ne sont pas les dimanches, mais plutôt quand les passants et les commerçants des alentours peuvent venir ! Et que, d’une certaine façon les gens se retrouvent contraints de discuter, qu’ils soient enfermés dans un lieu, en train d’attendre, ou bien quand ils ressortent. »
Et quand on aborde les projets ou l’après Culot13, il y a toujours… Culot13 ! Victoire a notamment un projet de livre, en forme de synthèse de l’aventure, en plus de sa pratique personnelle, qu’elle poursuit en parallèle des cours de dessin qu’elle dispense le soir aux Beaux-Arts d’Aix. « C’est très important de pouvoir faire un état des lieux de ce qui s’est passé pour ce projet, de transmettre un échantillon de la scène artistique marseillaise, de questionner la culture et le lien social, et de témoigner des réflexions intrinsèques à l’histoire du quartier de Noailles. »
JP Soares