Les Printemps du Monde
L’entretien
Franck Tenaille (Le Chantier de Correns)
Niché dans l’écrin de verdure qu’est le village tout bio de Correns, au cœur de la Provence Verte, le festival Les Printemps du Monde mettra en exergue du 4 au 5 juin un tentaculaire travail de création et d’accompagnements autour de la musique du monde mis en place à l’année par l’association Le Chantier. Franck Tenaille, son directeur artistique, nous en dit plus sur le cœur d’activité du centre de création artistique, de son éthique à l’exploitation de l’événement à venir.
Quel regard portez-vous sur l’édition 2022 des Printemps des Mondes ?
Le festival représente un moment de l’activité que nous menons toute l’année. L’important, c’est le Chantier. Nous faisons des résidences de créations, des créations artistiques ainsi que des accompagnements professionnels. Ensuite, nous organisons des concerts de sortie du territoire et de travail jeune public. Le festival est un moment fort, certes, mais il découle surtout de ce grand cahier des charges mené tout au long de l’année. Bien sûr, le week-end épouse notre philosophie : exposer les musiques du monde dans toutes leurs dimensions, notamment esthétiques et culturelles, puisqu’elles ne sont pas un genre, selon nous, mais une véritable anthropologie culturelle. Pour les choix de programmation, on marche souvent au « one shot », il nous arrive de construire des projets de A à Z, et nous proposons donc souvent des choses qu’on ne voit pas forcément ailleurs. Et nous avons la chance de nous déployer dans un village entièrement biologique, dans un cadre bucolique et magnifique, et qui en plus produit un très bon vin classé ! (rire). Sur le week-end, on propose essentiellement des accès gratuits et quelques-uns payants.
Au Chantier se déploie une large liste d’activités à l’année. Voulez-vous nous en parler un peu ?
Pour les résidences, nous avons à la fois des candidatures et des choses que nous suscitons nous-mêmes. Il s’agit de rencontres avec des artistes d’ici et d’ailleurs, venant même du monde entier : lorsque l’on fait par exemple des créations avec des Pygmées ou des chamanes de Mongolie, l’organisation doit être précise. Que peut-on faire, que peut-on greffer sur les projets — des stages de chant autour de leur art, par exemple. Autour de ces grands artistes, nous créons de la pédagogie : des salons de musique, des repas du monde… Nous avons également créé le portail Musicapédia, que nous essayons d’enrichir des réserves musicales que nous avons accumulées pendant vingt ans. La partie transmission est pour nous très importante puisqu’elle est essentielle, que ce soit par l’instrument ou par l’oralité. Nous avons aussi la volonté de transmettre tout ce que l’Unesco appelle le « patrimoine culturel immatériel », qui est essentiel. C’est donc une dimension très importante, comparé à nos collègues qui travaillent plus sur ce qu’on appelle les « musiques actuelles », et j’ai horreur de ce terme ! Nous, on amène quelque chose, on veut montrer au monde la partie immergée de l’iceberg. Côté jeune public, nous touchons environ un millier d’enfants chaque année du collège au lycée, et même parfois jusqu’aux enseignants, pour qui nous avons créé un système de formation, avec la mise en place de travaux qui durent parfois cinq ou six mois. Bien sûr, il y a la diffusion avec les sorties de résidences. En fait, c’est toute une chaine qui va du producteur au consommateur, de la mémoire à la contemporanéité. Disons que la création est le cœur de l’activité, sur lequel viennent se greffer tous les autres axes.
Une grande place est bien sur réservée à la musique du monde, mais pas que ! Cette année, on retrouve de la chorégraphie, du chant, des expos… Est-il important pour vous que tous les champs culturels soient représentés ?
Non, ce sont des propositions qui nous arrivent. On programme du théâtre, du castelet ou de la danse, mais toujours en liaison avec les musiques du monde et traditionnelles, que je préfère d’ailleurs appeler « musiques d’essence patrimoniale ». En France, on a une vision un peu désuète des héritages. Un patrimoine peut s’exprimer de manière très diaphane, ou s’incarner sur des formes assez connotées. Ce qui est important, pour nous, ce sont les sources : des langues, des formes, des cultures, des cosmogonies… tant de choses dans lesquelles les artistes puisent.
Dans la programmation musicale de cette année, y a-t-il des artistes que vous avez hâte de recevoir ou dont vous conseilleriez particulièrement les concerts ?
Cette année, la particularité, c’est la dominante asiatique. On a fait venir les Dhoad du Rajasthan car ce sont les cent cinquante ans de l’indépendance de l’Inde. Les Dhoad, ce sont des gitans du nord de l’Inde, du fameux pays des Mahârâjas. Ils sont connus dans toute l’Inde pour leur chant et leur musique, ainsi que leur liberté d’action. Ils viendront chez nous très nombreux, entourés de danseuses et de fakirs. D’autre part, nous recevrons le Gamelan de Bali, c’est également très spectaculaire grâce aux ensembles de gongs. Malgré ce côté « spectacle », il est à la base joué pour honorer les dieux. On aura donc beaucoup de musique d’ensembles, y compris autour de la salsa et de grands groupes de chœurs, ou des ensembles de cornemuses. Il y en a pour tous les goûts, et on propose à notre public d’amateurs avertis des choses que peut-être ils n’ont jamais vues. Avec le jeune public, on sème des graines, nous sommes comme des polinisateurs d’imaginaires.
On retrouve aussi régulièrement la culture occitane, chez vous.
Moi, je suis un occitan de Languedoc, alors je vais vous dire, l’Occitanie m’est chère. On a fait venir à Correns tout le banc de l’Occitanie. Cette année, on accompagne le grand chanteur occitan Claude Marti. Cette région est très vaste, tant en territoires qu’en héritages. En local, on recevra aussi le groupe les Dames de la Joliette, très percussif et polyphonique, un ensemble de femmes qui ont travaillé sur le thème des figures féminines liées à la révolte ou à l’amour. Elles ont toutes un parcours assez différent, ça fait un bouquet de fleurs magnifique.
Propos recueillis par Lucie Ponthieux Bertram
Les Printemps du Monde : du 4 au 5/06 à Correns (83).
Rens. : http://www.le-chantier.com