Identité Remarquable | Benjamin Carrega
Body semeur
Benjamin Carrega, sculpteur marseillais « pur jus » expatrié quelques années au Pays Basque pour mieux revenir dans sa cité, prend un pari réjouissant : celui de faire un lien pérenne entre technique et sensualité. En sculptant le corps des femmes, il leur déclare une flamme gabarit 3D qui exclut toute forme de voyeurisme ou de vulgarité. L’onduleux devient ici très précis : cette libération ultra physique, Benjamin nous en donne une matière infinie.
Quand on le rencontre, Benjamin Carrega sonne comme une alerte, emporté par son amour de la gestuelle, se bousculant presque pour parler encore et « en corps » de son projet. Le bain créatif dans lequel il a évolué ? Une maman peintre et des séances de modelage plein la maisonnée. Une rencontre avec l’artiste Fanny Garcia, qui lui raconte la beauté des pores et de la « peau de poulet », des nervures, des ridules ou des plis. Les rudiments de la sculpture ont été vite appris. Ensuite ? C’est une longue suite de voyages « embrasés ». Mais aussi une saison d’été chez les naturistes du Verdon qui va venir percuter sa perception des corps éhontément exposés. Son déclic, Benjamin va l’assumer fièrement de Biarritz à Marseille pour lancer, il y a trois ans aujourd’hui, sa Fabrique à Body.
Ses sculptures sont comme des reliques, des cadeaux que ses modèles féminins (se) font, en relevant le défi (fou ?) d’anéantir pudeur et frustration. Tous les coins et recoins sont explorés, des lobes aux fossettes en passant par les chevilles ou les chutes de rein. La « zone » à façonner la plus demandée ? C’est le buste, qui émeut automatiquement sans jamais embarrasser. Ces rendez-vous de l’intime, Benjamin en a le secret. En intro de séance ? L’empreinte plâtrée, prise à domicile ou en atelier. Puis, trente minutes de pose « figent » les modèles et leur nudité : un exercice sur-mesure qui libère largement du complexe puisque le corps devient alors une vitrine intégralement décortiquée. La coque ensuite récupérée, ce sont dix jours qui se déroulent nécessairement autour du travail de finition. Une personnalisation réalisée « au gré des sensibilités » et que Benjamin prend très au sérieux, en oscillant matériellement entre la résine, la couleur ou la feuille d’or.
L’idée de l’offrande personnelle règne, qu’on laisse la sculpture simplement exister ou qu’on la transforme en lampe, en vase, en objet d’utilité ordinaire. L’égocentrisme, une tendance grande ouverte quand on choisit de se faire sculpter, se confronte alors à de possibles détournements techniques ou pratiques. Benjamin laisse le choix, sans jamais négliger l’effet « wouah ». Mais ce qui surgit plus fort encore, c’est l’idée que les femmes reprennent pleinement possession de leur carapace. Une façon d’exorciser les chocs (divorces, accouchements, traumatismes divers…), d’affronter la classique crise de la quarantaine ou de se caler bien au chaud dans un processus thérapeutique (toucher la matière pour éloigner les jugements ombrageux que l’on porte sur soi).
Une sincérité généreusement brassée. C’est ce que le sculpteur offre sans retenue à ses « muses » toutes générations confondues. Le regard — en croissant de lune — qu’il leur porte est une arme de reconstruction massive : alors que les gens se faisaient à l’époque tirer le portrait, Benjamin prend aujourd’hui une sorte de relais. Celui d’utiliser la 3D pour transcender, bouleverser et poétiser la féminité en restant facile d’accès. C’est aussi l’anonymat physique qui est ici préservé. Et tout le charme de l’antiquité qu’il vient reconvoquer. Artiste résolument multiple, Benjamin sculpte avec un ingrédient qu’on lui envie : la liberté, pardi !
Pauline Puaux