Enquête pour détournements au service parc auto de la Ville de Marseille
Le parquet a ouvert une enquête préliminaire pour harcèlement suite à la plainte d’une agente du service auto de la Ville qui dénonce les irrégularités dont elle a été témoin. Vols réguliers de véhicules, d’essence et de pneus, dépeçage avant l’envoi à la casse, elle décrit un système très organisé.
Cécile B.* est une fonctionnaire de la Ville comme il en existe des centaines, consciencieuse, opiniâtre dans l’accomplissement de ses missions. Elle ne savait pas qu’en débarquant au service parc auto, qui gère l’importante flotte de véhicules de la municipalité, elle se retrouverait un jour d’août 2022 dans un bureau de police, au commissariat de Noailles.
Comme 20 Minutes l’a révélé, le parquet s’est saisi du dossier. Ce dernier confirme à Marsactu avoir été destinataire d’un signalement de la Ville, au titre de l’article 40 en septembre, mais ne souhaite pas faire de commentaire. D’après nos informations, une enquête serait ouverte après la plainte déposée par Cécile B., en janvier dernier. Pour l’heure, la police l’a interrogée sur le volet personnel de sa plainte : depuis plusieurs mois, elle dénonce des faits de harcèlement, brimades et menaces du fait de sa hiérarchie et de certains de ses collègues. Mais si la situation de Cécile B. est devenue intenable au point qu’elle a dû changer de service, c’est que ce qu’elle a découvert au parc auto apparaît relever du détournement de biens et donc de fonds publics, objet d’une seconde enquête judiciaire.
Dépeçage avant destruction
Le point le plus symbolique, le plus choquant en ce qu’il témoigne d’une organisation bien huilée, concerne la fin de vie des véhicules municipaux. Les voitures ou utilitaires qui ne peuvent plus être réparés font l’objet d’une mise en réforme. Ils sont envoyés sur un camion plateau jusqu’à une antenne de la société Derichebourg, à Marignane, pour opérer à la destruction et au recyclage des véhicules.
Or, en épluchant l’ensemble des documents ayant trait à des véhicules réformés en 2019, l’agente s’est aperçue d’une anomalie : certains véhicules ont miraculeusement maigri à leur arrivée à Marignane. Le poids constaté par Derichebourg et inscrit sur un bordereau que Marsactu a pu consulter est très inférieur au poids à vide inscrit sur la carte grise. 800 kilos envolés pour un Citroën Jumper, détruit en janvier 2019, 760 kilos en moins pour un Renault Kangoo détruit quelques jours plus tard. Pour la plaignante, tout indique que ces véhicules ont fait l’objet d’un dépeçage en règle avant d’être détruit.
Et les anomalies ne s’arrêtent pas là : chaque véhicule promis à la destruction doit faire l’objet d’un ordre de mission avec le nom du chauffeur du camion plateau. Or, ce n’est pas toujours le cas. Pire, l’avis de réforme de certains véhicules est signé des mois après sa destruction.
Amendes pléthoriques et véhicules fantômes
Si Cécile B. a mis le doigt sur cette irrégularité, c’est que ses supérieurs ont décidé de la placer à un poste clef au sein de son nouveau service. Ancienne responsable de restauration, puis chauffeur au service courrier, elle entre en 2018 au parc auto en tant que gestionnaire administrative. Le directeur de l’époque, Olivier Proisy, lui confie la délicate tâche de la gestion des amendes, le contentieux concernant les infractions commises avec des véhicules municipaux dépassant 165 000 euros. Une somme qu’elle parvient à diminuer jusqu’à 5 565 euros. Marsactu a raconté par ailleurs comment certains élus de l’ancienne majorité Gaudin cumulaient plusieurs milliers d’euros d’amendes pour des infractions parfois commises à l’étranger.
Une fois, cette mission effectuée avec succès, sa direction lui en confie de nouvelles : mettre au clair l’inventaire des véhicules, notamment en ce qui concerne les assurances, puis les décisions de réforme. Pour cela, Cécile B. met au point une règle simple : croiser les bons d’essence et les polices d’assurance pour vérifier si certains véhicules dûment assurés bougent encore. Elle découvre alors que 189 véhicules de la Ville sont toujours assurés alors qu’ils ne figurent plus à l’inventaire, soit qu’ils aient été volés, soit détruits.
La disparition des voiturettes de golf
Comme un fil que l’on tire, Cécile B. va mettre au jour un tombereau d’irrégularités qui s’apparentent à de la gabegie et du coulage sur un mode organisé. En termes pénaux, cela pourrait se qualifier de détournement de fonds publics. Elle découvre ainsi que certains véhicules ont disparu. Deux voiturettes de golf acquises par la Ville à l’occasion des vœux à la presse du maire en janvier 2017 pour pallier les difficultés de déplacement de Jean-Claude Gaudin se sont volatilisées. La fonctionnaire signale cette disparition et, quelque temps plus tard, les voiturettes réapparaissent comme par miracle.
Même chose pour une mini-pelle, laissée derrière le garage Curtel, les clefs sur le contact. Quelques mois plus tard, c’est un chariot élévateur qui disparaît, sans réapparition miraculeuse, cette fois-ci. D’après nos informations, ces vols récurrents ne s’arrêtent pas aux véhicules. La directrice actuelle du parc auto aurait également porté plainte pour des vols de pneus et de carburants. Pour sa part, la Ville indique avoir mis en place une série de mesures de mise en sécurité du service du parc auto, avec notamment un renforcement de la vidéo-protection, la rénovation des portails et serrures, l’encadrement de l’accès à la pompe à essence, le traçage et l’enlèvement des véhicules destinés à la casse…
Irrégularités dans le remisage à domicile
En épluchant les listes de véhicules, Cécile B. a aussi découvert que certains agents faisaient un usage abusif de leurs voitures de service. Le caractère pléthorique du parc automobile de la Ville incite celle-ci à autoriser le remisage à domicile de certains véhicules. L’agent est donc autorisé à se garer chez lui, en contrepartie d’une déclaration et sans sortir de la commune, un tel déplacement nécessitant un ordre de mission. Or, l’examen des bons d’essence associés à certains véhicules démontre que les fonctionnaires n’habitent pas à l’adresse indiquée sur leur déclaration de remisage. Ils financent alors sur le compte de la Ville leur aller-retour domicile-travail, habitant pour certains à plusieurs dizaines de kilomètres, voire dans des départements voisins.
Dès 2021, Cécile B a saisi la municipalité par sa voie hiérarchique pour dénoncer les faits dont elle avait été témoin. La disparition de la voiturette de golf et les autres faits mis au jour déclenchent ainsi une enquête de l’inspection générale des services qui entend l’ensemble des protagonistes et rend un rapport à l’automne. Or, malgré ce rapport, rien ne change au service auto. C’est ce qui déclenche le dépôt de plainte par Cécile B. en janvier et une nouvelle alerte, cette fois-ci auprès du maire et de son cabinet. Lesquels déclenchent une nouvelle enquête administrative concernant la situation de Cécile B.
Si la Ville aurait elle-même saisi le parquet pour les faits dénoncés depuis des mois, en septembre, elle indique avoir procédé à des « mesures de déplacement de certains agents du parc auto, auxquels sont reprochés des faits de vol et de détournement de biens municipaux avant 2020. » Elle indique que d’autres sanctions pourraient être prise décision d’un conseil de discipline. Par ailleurs, un nouvel outil de gestion du parc auto va être déployé « pour vérifier la cohérence des données de consommation et faciliter les contrôles. »
Lors d’un récent conseil municipal, Benoît Payan a annoncé sa volonté de revoir radicalement le nombre de véhicules de la Ville. En 2015 déjà, son prédécesseur promettait de réformer le service auto, sans qu’on en voie aujourd’hui les effets.
Benoît Gilles
* Le prénom a été modifié pour préserver l’anonymat de la plaignante.