Chroniques – Biennale des Imaginaires Numériques

Nuits diverses

 

Alors que nos temps diurnes se raréfient, Chroniques se fait le plaisir d’attiser encore un peu plus le halo automnal en jetant sur Marseille, Aix et jusqu’à Avignon le sensationnel programme qui compose sa troisième Biennale des Imaginaires Numériques. L’idée phare, pour celle-ci, c’est la Nuit. Sa veille commence jeudi, en grandes pompes.

 

 

Avec la nuit, la libre flânerie. En plus de la quinzaine d’expositions à vernir, des balises en forme d’œuvres ou de performances, immersives, sonores, déambulatoires et parfois interactives, se glisseront, juste pour quelques heures, entre les mondes plus durables (pour la plupart, jusqu’à mi-janvier) que nous préparent une bonne soixantaine d’artistes. Allons alors au plus imminent. Les doux errements débuteront d’abord à Marseille, au crépuscule de jeudi (le 10/11), circonscrits dans les espaces protéiformes de la Friche la Belle de Mai. Cette inauguration propose plusieurs performances, le temps d’un soir. D’abord, le Seuil de Clément Édouard, une installation musicalement hypnotique ; ou Video hearings / Anhörungen de Rochus Aust (proposée par les Instants Vidéos), qui joue de sa trompette longue de douze mètres, pour amener une démesure ahurissante troublant à la fois vision et audition ; ou encore La Caresse, fatalement séduisante, à force d’égards chorégraphiques pour un personnage vampirique, avancés par les étranges et mécaniques nappes sonores de Tryphème, couplées aux animations doucereuses d’Ulysse Lefort. À ces performances principalement construites autour des sons, s’ajoutent des États de Veille, ou bien sûr, l’After Party (deux des expositions à voir jusqu’en janvier), ainsi que des installations à l’air libre (plus éphémères), agencées, quant à elles, par rapport aux espaces. On attend donc du mapping, des architectures mouvantes dessinées par des ombres, murs de lumières et plafonds de néons ; et des projections, dont celle d’Anouk Kruithof. Pour Universal Tongue, elle a recruté une cinquantaine d’archéologues de l’internet (on sait à quel point la temporalité du web est expéditive) afin de reconstituer une histoire mondiale, kaléidoscopique et simultanée de la danse, fusionnant du même coup l’espace et le temps dans un agencement de milliers de vidéos. Si cela ne suffisait pas à nous titiller sérieusement les guibolles et les ouïes, les productrices d’électronique dénichées par l’équipe Bi:Pôle, Mary Ocher, Samar et Mika Oki, poseront le Bon Air Club aux Grandes Tables, à grand coups de sets et de lives machine, avec leurs basses aux lignes décadentes, pop décentrée et synthés bien calés. En somme, l’inauguration avec cette première soirée a de quoi rythmer les plus expérimentales curiosités.

Mais avec la nuit, point de répit. Après jeudi, c’est en fait surtout Aix qui restera à explorer. Dans un parcours décidément débordant d’évènements, la Biennale ouvre dix expositions : une ouverture sur deux jours et deux soleils bien tombés (les 11 et 12/11, jusqu’à 22h), le tout agrémenté d’une foule d’installations dans des espaces emblématiques du centre-ville. On y trouve des œuvres analogiques, lumineuses, vidéo ou même cinétiques, dont le Borealis à succès de Dan Acher (vu en septembre au Parc Longchamp, grâce à Lieux Publics). À observer, l’Unshaped du Quiet Ensemble (dans l’Amphithéâtre de la Manufacture) qui joue sur les paréidolies (notre tendance à voir des symboles, personnages ou formes identifiées dans les abstractions ambigües que délivrent, par exemple, les nuages) avec des drapés d’une étrangeté presque inquiétante, car avec la nuit vient aussi la rêverie. Et avec la nuit, la bizarrerie. Puisque le nocturne a cette tendance à réveiller, à ce qu’on dit, les démons, on sera libre de remuer jusqu’à étendre ses zones d’ombres, jusqu’à gagner de l’obscur au détriment du clair, comme avec l’Ada de Karina Smigla Bobinsky. La sculpture interactive installée dans la Chapelle de la Visitation a trouvé en ce terrain annoncé comme « habité » un espace de jeu, traçant de sombres dess(e)ins performés par le public et dansés, en bonus, par la chorégraphe Ariane Roustan dans la soirée du 11.

Onirismes, égarements ou subversions, oui, mais qui dit nuit, dit aussi astronomie. De l’infiniment petit, pixel, cellule, bit (ou les innombrables modules d’Étienne Rey installés à l’Hôtel de Caumont, du 12/11 au 16/12) à l’immensément grand, réseau, yotta, galaxie (ou à la Lune géante de Luke Jerram visible à l’Église de la Madeleine), on trouve évidemment les planètes, les réflexions sidérales, les spéculations scientifiques, technologiques ou numériques, et bien sûr, leurs inhérences politiques, sociales et environnementales. Pour les amateur·ice·s du cosmos et de ses esthétiques célestes et contemplatives, on compte l’exposition collective À La Tombée de la Nuit (au 21, bis Mirabeau), La Mémoire des Étoiles (d’Amélie Bouvier, au Musée des Tapisseries), Les Étoiles ne dorment jamais (de Sophie Whettnall, au Musée et jardin du Pavillon Vendôme) ou Vivre sans témoin (collective, à la Fondation Vasarely). Cette dernière, dans une nostalgie toute écologique, voudrait bien expérimenter la vraie nuit noire. La coupure, la quiète torpeur du sommeil de plomb revigorant, que Nicolas Montgermont, après son année de résidence chez Lab Gamerz, met littéralement en œuvre dans la Chapelle Venel (jusqu’au 4/12), transformée en Encagement, une geôle de fer pour empêcher toutes les télécommunications d’entrer, et ainsi de nous atteindre. À se demander ce qu’on doit y ressentir, au-delà du paradoxe. Un temps réflexif de ce type est aussi proposé par la Veille Infinie (au 3bisF, dans l’Hôpital Montperrin) de Donatien Aubert, questionnant à grands renforts d’images de synthèses, d’animations et de réalités virtuelles, nos sociétés du numérique, entre autres.
Le programme de cette Biennale a — on n’en attendait pas moins — la densité d’une jungle, celle que constituent nos imaginaires ; à explorer soit par instinct, soit suivant les chemins. À nous de saisir les signaux cognitifs, sensitifs et peut-être, urgents ou impérieux, que nous envoient ces artistes avec leurs dispositifs, depuis leurs mondes, pour qu’ils se connectent aux nôtres.

 

Margot Dewavrin

 

 

  • Chroniques – Biennale des Imaginaires Numériques de Chroniques : du 10/11 au 22/01/2023 à Marseille, Aix-en-Provence et Avignon. Rens. : chroniques.org

  • Soirée inaugurale : le 10/11 à la Friche la Belle de Mai (41 rue Jobin, 3e).

  • Week-end inaugural (parcours nocturnes et ouvertures des expositions) : les 11 et 12/11 à Aix-en-Provence.

Le programme complet de la Biennale Chroniques ici