Millefeuille | La Véritable Histoire de Gaya Sharpe d’Anne Steiger
Écho responsable
Dans son premier roman, Anne Steiger, journaliste originaire de la région, nous conte La Véritable Histoire de Gaya Sharpe. Une fable écologique aux échos de réalisme magique, mais surtout un récit poignant où chaque détail, de par son côté symbolique, requestionne l’anthropocène.
C’est par les yeux du père, Louis Sharpe, que s’ouvre l’incipit du roman, qui va se construire autour de son récit. Un père maladroit, non dénué d’humour, qui tente tant bien que mal d’élever seul une enfant dont la naissance miraculeuse va le poursuivre de ses cris. Une enfant tour à tour pleurnicharde et curieuse, violente et généreuse, dont la sagesse et l’intelligence précoce stupéfient tout son entourage. Chaque chapitre est découpé en année, pendant laquelle la protagoniste principale développe un nouveau trait de caractère, un défaut, une connaissance, une spécificité physique. L’originalité réside dans le fait que ces changements s’effectuent de manière exponentielle, essentiellement par à-coups, à l’image d’un programme informatique que l’on met à jour.
C’est que pour parler de l’action des hommes sur la nature, Anne Steiger décide de décrire la vie de Gaya, ou Gaïa, plutôt comme une métaphore, un concept. Elle tente de replacer cette dernière dans une histoire, énonçant sa puissance dans ce qu’elle a de fragile et de délicat, prenant les traits d’une petite fille naïve, épileptique et déterminée. Par cet onirisme, elle s’éloigne de la notion d’anthropocène, qu’on nous assène constamment dans une pseudo division, comme s’il était possible de séparer l’humain du reste de l’univers, qu’il était capable de le contrôler, au lendemain de la COP27 qui conclut simplement le contraire.
Son écriture simple, qui nous rappelle le conte, propose pour morale que l’humain a tout intérêt à renouer avec les sensations que la nature lui suggère afin de retrouver ce lien perdu, mais surtout de comprendre que cette période où cette dernière constituait un abri protecteur est bel et bien terminé. La protagoniste nous incite à agir avant tout localement, bien que la problématique dépasse les frontières. La question de responsabilité y est clairement abordée, et le lecteur peut se sentir piqué, tout comme le père qui témoigne, de cet accent parfois moraliste, voire carrément condescendant ; trouver certaines longueurs dans la lecture, certaines actions prévisibles. Sensation qui s’estompe cependant à l’écoute de ce chant qui surgit des entrailles, de cet humour léger qui ponctue le texte, de l’originalité du sujet exploité, trop rare dans le corpus littéraire, d’un rapport père/fille. Dans ce roman hybride, l’affiliation au réalisme magique nous inscrit dans une réalité où le surnaturel n’est pas un problème en soi mais fait déjà partie de notre quotidien. Encore suffit-il d’observer.
Laura Legeay
Dans les bacs : La Véritable Histoire de Gaya Sharpe d’Anne Steiger (Éditions Exergue)