L’interview : Renaud-Marie Leblanc
L’urgence, l’amour de la langue, un certain regard sur les êtres et l’honnêteté dans la création… Telles sont les préoccupations personnelles que le metteur en scène a retrouvées en montant Le malade imaginaire. On a voulu en savoir plus…
Vous êtes en pleine répétition, à une semaine de la première. Quel est l’état général des troupes ?
On est vraiment très fatigué parce que c’est un spectacle de plus de deux heures trente sans entracte, puisqu’on a décidé de faire les intermèdes. Et, de mon côté, cumuler mise en scène et jeu, c’est aussi un défi. Et le coup de froid de la semaine dernière nous a été fatal vocalement, donc on est prudent.
Vous avez donc décidé de traiter les parties musicales…
Oui, même si on ne le fait pas intégralement parce qu’on ne peut pas, financièrement et humainement, les traiter comme le demande la partition de Charpentier. On a décidé de respecter l’architecture théâtrale telle que Molière l’avait imaginée… avec une bande son pour les parties instrumentales.
Souvent, la décision d’investir un spectacle vient à la fois d’une démarche intellectuelle et d’un lien plus affectif, d’un besoin viscéral que la pièce résonne au présent en celui qui la propose… Entre vous et Molière, qui est allé vers l’autre ?
C’est un long cheminement provoqué par Dominique Bluzet (Ndlr : directeur du Jeu de Paume) qui voulait que je travaille sur un « classique », de préférence une comédie. On est tombé d’accord sur Molière et Le Malade imaginaire parce que je l’ai joué à l’époque où Marcel Maréchal était directeur de la Criée ; j’étais son assistant sur le projet. Le retrouver à presque vingt ans d’intervalle a aiguisé la conscience du temps passé… Et les conditions dans lesquelles Molière a écrit cette pièce, suite à la perte des subsides royaux, m’ont renvoyé au contexte actuel, avec la situation de la culture, des compagnies de plus en plus précaires… Et il y a enfin l’urgence ressentie par Molière, alors malade — il est mort après la quatrième représentation —, qui fait de cette pièce beaucoup plus qu’une farce sur la médecine. C’est aussi une étude de la famille assez dure, sans se départir d’une certaine tendresse pour l’humanité des personnages, et toujours des raisons de ne pas désespérer.
Vous évoquez l’actuelle situation difficile de la culture, vous avez récemment joué La conférence de Christophe Pellet, Philippe Berling monte L’art de la comédie… Autant d’œuvres qui évoquent un malaise de l’artiste dans la société. Qu’en est-il ?
Le mot est peut-être un peu fort, mais oui, c’est un moment difficile. Les choses ont énormément changé en vingt ans mais c’est, globalement, l’évolution de la société, de plus en plus capitaliste, qui rend les choses difficiles et isole les artistes. Et c’est vrai que la manière dont Molière a dû faire profil bas, si j’ose dire, avec Louis XIV m’a interpellé. Le système nous demande de plus en plus d’être des pourvoyeurs de divertissements. Bientôt on demandera aux metteurs en scène d’exercer leur fonction et de n’être plus que cela, c’est-à-dire ne presque plus choisir leur projet, avec des directeurs artistiques, comme dans Marseille Provence 2013 par exemple. Bon, je ne vais pas me lancer sur ce sujet…
Et pourtant, votre point de vue nous intéresse…
Le fait même que les thématiques soient créées par un groupe de gens, finalement sans artistes, et qu’a posteriori on dise qu’il y a suffisamment de « tiroirs » dans ces thématiques pour que chaque artiste trouve son projet, c’est terriblement restrictif pour la liberté de création. C’est une dérive inquiétante qui complique tout, surtout pour les auteurs d’ailleurs. Combien de fois, indépendamment de Marseille Provence 2013, ai-je entendu des programmateurs dire « c’est bien, mais il y trop de mots, ça c’est pas pour mon public »… On dirait que le mot fait peur…
Retrouvez-vous cette peur dans les milieux universitaires et scolaires où vous intervenez ? Ou y trouvez-vous au contraire un appétit ?
C’est très variable d’un élève à l’autre, mais la constante des nouvelles générations, au contact desquelles pour moi il est très enrichissant d’être, c’est qu’il vous écoute avec un œil sur chaque portable, facebook d’un côté et sms de l’autre !
Propos recueillis par Frédéric Marty
Photo : Agne?s Mellon
Le Malade imaginaire : du 30/09 au 08/10 au Théâtre du Jeu de Paume (17/21 rue de l’Opéra, Aix-en-Provence). Rens. 08 20 00 04 22 / www.lestheatres.net