Nabucco à l’Opéra de Marseille
Va, pensiero
Après deux décennies d’absence, un record pour une œuvre maîtresse de Verdi, Nabucco revient ébranler les tréteaux de l’Opéra de Marseille. Dans la fosse, l’orchestre rutilera de tous ses cuivres sous la direction de Paolo Arrivabeni.
À commencer par la vrombissante ouverture dans laquelle le jeune compositeur rassemble le centon de toutes les idées musicales, simples ou audacieuses, toujours efficaces, développées ensuite dans les quatre actes d’un ouvrage devenu légendaire. Mais avant d’évoluer en opéra prophétique de l’unification italienne, Nabucco est une cantate biblique où le chœur, personnage principal, souffle sur la scène les puissants courants d’air(s) d’un peuple persécuté et, dans la même expiration, le désespoir d’un compositeur brisé par la perte tragique des siens. « Va, pensée, […] que le Seigneur t’inspire une harmonie qui nous donne le courage de supporter nos souffrances. » Le 9 mars 1842, cette supplique de l’Acte III fut entendue et le Chœur des esclaves propulsa Verdi, à vingt-neuf ans, sur les ailes dorées de la renommée.
Malgré le panorama spectaculaire de cette fresque historique, le metteur en scène Jean-Christophe Mast ne manque pas d’en déplier les grandeurs de l’intime. Ainsi son Nabucco traverse-t-il le nuancier moral, du noir au blanc, sur l’échiquier où s’affrontent Hébreux et Babyloniens en opérant sa bascule graduellement dans un tableau onirique inédit et la scène de folie de l’acte II. Les costumes de Jérôme Bourdin épousent cette opposition chromatique et accentuent son côté belliciste dans un décor a minima offrant à l’imagination ses libres suggestions. Le rôle-titre ira à Juan Jesús Rodriguez, magnifique « spécimen » de baryton-verdi, dont le public phocéen a déjà apprécié la générosité vocale et l’envergure charismatique. Abigaïlle, sa fille présomptive, nourrit une passion shakespearienne du pouvoir, préfiguration de la future Lady Macbeth, qui finira par s’immoler dans les enchères de la colère et de l’intolérance. Redoutable partition à l’origine de laquelle nombre de voix ont outrepassé leur point de fusion. Les exigences théâtrales de ce personnage sulfureux ne sont pas plus en reste que les sauts d’intervalles meurtriers pour les gosiers trop téméraires. C’est pourtant le rôle fétiche de la colorature dramatique Csilla Boross avec lequel sa carrière s’est envolée lors de la représentation de Nabucco dirigée par Ricardo Muti pour le 150e anniversaire de l’unité italienne qui fit le tour du monde télévisé en 2011. On peut mesurer à cette aune le privilège d’accueillir la soprano hongroise dans cet opéra emblématique. La basse Simon Lim (grand prêtre Zaccaria) sera bien seul à prendre un peu de hauteur parmi les débordements d’humeur et les coups de théâtre du livret dans deux airs monumentaux : la Prière du second acte et la Prophétie du troisième.
Si Verdi prêta sa voix aux aspirations d’une nation qui n’existait pas encore, aujourd’hui Nabucco ressort à ce patrimoine mélodique que l’on porte en soi, parfois à son insu, et qui, même à la première écoute, provoque ce sentiment familier d’où les chefs-d’œuvre puisent leur valeur intemporelle. À savourer inlassablement.
RY
Nabucco : du 30/03 au 7/04 à l’Opéra de Marseille (2 rue Molière, 1er).
Rens. : opera.marseille.fr