Cinéastes, de notre temps – Carte blanche à André S. Labarthe à l'Institut de l'Image (Aix)
Histoire(s) d’un cinéphile
L’Institut de l’Image délocalise à Aix la formidable rétrospective consacrée à André S. Labarthe au printemps dernier à Beaubourg, et rend hommage à l’œuvre exceptionnelle laissée par ce « ciné-fils », en binôme avec Janine Bazin.
Il est regrettable de constater que la cinéphilie a parfois renvoyé au grand public l’image d’un cercle d’initiés, érudits blafards passant le plus clair de leur temps dans la pénombre des salles obscures, au contact de films jugés difficiles, aux antipodes de l’essence populaire qu’est à l’origine le cinéma. La cinéphilie, chantre d’un art élitiste ? Certainement pas, et les œuvres (dans l’œuvre) de Langlois, Buache, Douchet, Daney ou Labarthe viennent encore aujourd’hui l’attester. La cinéphilie est avant tout affaire de mémoire. Sans elle, une bonne partie de l’histoire du cinéma, aussi bien sur un plan théorique que technique (la restauration des copies), serait tombée dans les oubliettes du XXe siècle. La cinéphilie a finalement permis de révéler (comme on révèle la pellicule) sa propre histoire. D’en définir le langage, les grands auteurs, les grands mouvements cinématographiques. Et l’œuvre d’André S. Labarthe a largement contribué à diffuser cette expérience de l’image que fut, et reste, le cinéma. Ancien critique aux Cahiers, il fut débauché par la veuve d’André Bazin, auteur de l’incontournable Qu’est-ce que le cinéma, dans le but de réaliser une série filmée d’entretiens avec les plus grands réalisateurs. Ainsi naquit Cinéastes, de notre temps, renommé plus tard Cinéma, de notre temps. Soit une série de nombreux portraits (plus d’une centaine à ce jour), pénétrant l’univers créatif de Lang, Ford, Hitchcock, Gance, Godard, Cassavetes, Rohmer ou Bunuel, entre autres. La force des films de Labarthe est d’atteindre l’œil du maître par petites touches, avec subtilité, saisissant au bond quelques instants de vies de ces hommes et femmes qui finissent par en dire long sur leur rapport au monde, donc au cinéma. Car il faut rappeler ici que les films de Labarthe sont aussi de grandes œuvres, formidablement bien montées, intelligemment construites. Avec quelques souvenirs inoubliables et jubilatoires, comme la rencontre improbable entre Ford et Hitchcock, l’entretien maître/élève entre Lang et Godard, les anecdotes distillées par Rohmer, pourtant rétif à ce genre d’exercice, ou le vibrant témoignage de Cassavetes expliquant son travail. L’Institut de l’Image propose donc de (re)découvrir le travail de Labarthe, à travers la projection d’une poignée d’épisodes, qui seront accompagnés d’une œuvre originale des cinéastes sélectionnés. Le tout présenté sur certaines séances par Labarthe lui-même, ce qui fait de cet événement l’un des plus passionnants de la rentrée.
Emmanuel Vigne
Cinéastes, de notre temps – Carte blanche à André S. Labarthe : du 12/10 au 1/11 à l’Institut de l’Image/Cité du Livre (8-10 rue des Allumettes, Aix-en-Provence). Rens. 04 42 26 81 82 / www.institut-image.org