Rétrospective Mike De Leon et Michael Roemer
Perles de culture
En avril, les Variétés à Marseille et l’Institut de l’Image à Aix-en-Provence ont le bon goût de programmer les rétrospectives de deux cinéastes plus que rares, mais aux œuvres majeures, Mike De Leon et Michael Roemer. Au total, huit films récemment restaurés en copies numériques, de toute beauté, à ne manquer sous aucun prétexte !
La restauration des œuvres du patrimoine cinématographique en numérique reste aujourd’hui un véritable enjeu pour la culture cinéphilique. L’on peut évidemment regretter qu’avec la quasi disparition des projecteurs 35mm en salles, de très nombreux opus soient désormais inaccessibles sur grand écran, mais se féliciter parallèlement qu’une poignée de distributeurs courageux nous gratifient de belles dynamiques éditoriales, en redonnant vie à certains cinéastes quelque peu oubliés de l’histoire. C’est le cas des Films du Camélia et de Carlotta Films, qui nous permettent aujourd’hui de plonger dans l’œuvre de deux cinéastes majeurs, Mike De Leon et Michael Roemer. Tout au long du mois d’avril, les cinémas Les Variétés de Marseille et l’Institut de l’Image d’Aix-en-Provence se feront donc les passeurs de ces deux cinématographies essentielles, dans des conditions de projections idéales, parfait écrin pour deux réalisateurs passionnants, et pour le plus grand plaisir de tout cinéphile.
Mike De Leon reste l’un des plus grands noms de l’histoire du cinéma philippin, aux côtés d’un Lino Brocka, dont il lui arriva d’être le producteur (on pense à l’extraordinaire Manille !). Si de l’archipel peuvent nous venir en tête, instinctivement, quelques noms plus contemporains, comme Brillante Mendoza, l’œuvre de Mike De Leon brossa, durant plusieurs décennies, un portrait parfois troublant de la société philippine, en l’occurrence sous le joug de la dictature du couple Marcos. Forcément inspiré par sa grand-mère, qui fut l’une des plus importantes productrices, dès la fin des années trente, du cinéma philippin, Mike De Leon distilla tout au long de ses œuvres une virtuosité obsédante pour la radiographie d’une société malade de son propre emprisonnement, voire de sa culpabilité. Flirtant parfois avec le cinéma de genre, pour mieux en souligner le trait, à l’instar de l’ésotérisme suintant du film Itim, de 1976. Parmi les cinq films restaurés en numérique de l’artiste philippin (dont deux seront présentés à l’Institut de l’Image, et les cinq aux Variétés), citons également Kisapmata — peut-être l’un des opus les plus perturbants du réalisateur —, Kakabakaba Ka Ba ? (Frisson ?), Héros du tiers-monde ou Batch’81.
Changement de continent avec le cinéaste américain d’origine allemande Michael Roemer, dont l’œuvre est également tout à fait rare sur nos écrans. Il put, presque enfant, fuir comme tant d’autres artistes l’Allemagne nazie pour se réfugier en Angleterre d’abord, puis aux États-Unis. Les trois opus exhumés par les Films du Camélia — pour notre plus grand plaisir ! — nous font ainsi découvrir un geste cinématographique rare au sein de la production américaine, une justesse d’écriture éblouissante, d’une humanité communicative. En l’occurrence avec le splendide Nothing but a man, qui décortique les mécanismes d’un racisme endémique dans le pays, au milieu des années soixante — le film verra le jour selon les pays en 1964. Et nous sommes là une poignée d’années avant les sorties des opus de Sidney Poitier, qui furent un véritable pavé dans la mare au sein de la société américaine. Harry Plotnick seul contre tous et Vengeance is mine, successivement de 1970 et 1984, viendront enfoncer le clou de cette trilogie à découvrir sans réserves !
Emmanuel Vigne
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Rétrospective Mike De Leon + Michael Roemer – Trilogie américaine : jusqu’au 2/05 au Cinéma Les Variétés (37 rue Vincent Scotto, 1er).
Rens. : cesar-varietes.com
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Cycle « Classiques, Insolites, Avril éclectique » : jusqu’au 30/04 à l’Institut de l’Image – Cinéma de la Manufacture (8/10 rue des Allumettes, Aix-en-Provence).
Rens. : www.institut-image.org