Le salon Art-O-Rama en 2022 © Margot Montigny

L’entretien | Véronique Collard Bovy et Danièle Fournier-Sicre

La foire d’art contemporain Art-o-rama dessine de nouvelles perspectives avec la création en 2023 d’un Cercle des Mécènes. Véronique Collard Bovy, directrice générale de Fræme, s’est associée avec Danièle Fournier-Sicre, présidente de DFS Conseil, pour construire patiemment ce réseau à la typologie particulière. Cet entretien croisé est l’occasion de parler, sans détour, de l’économie des arts visuels et de la place de l’artiste dans son existence et son devenir.

 

 

Quelle est l’opportunité d’un Cercle des Mécènes pour Art-O-Rama ?

Véronique Collard Bovy : La vocation d’Art-O-Rama est de prendre une dimension internationale et de trouver un financement extérieur aux pouvoirs publics, sinon on va se « provincialiser ».

Danièle Fournier-Sicre : La création du Cercle des Mécènes repose sur la question de la visibilité, de la nécessité des rencontres et d’une forte représentation.

 

Comment s’est construite la rencontre entre DFS Conseil et Fræme ?

Danièle Fournier-Sicre : J’ai ouvert une des premières agences de communication en 1982 à Marseille. J’étais l’une des seules femmes à exercer ce métier. On me disait : « Mais tu te prends pour qui ? ». Je visite la foire d’Art-O-Rama depuis une dizaine d’années, ça m’a initiée à l’art contemporain, parce que je ne viens pas de ce milieu. Après le succès de Marseille Capitale européenne de la Culture, il fallait repositionner les Bouches-du-Rhône comme l’une des grandes destinations culturelles. Des chefs d’entreprises ont décidé d’animer le territoire avec en tête de pont Macha Makeïeff et Dominique Bluzet en créant MP 2018, auquel je me suis associée pour mettre ma curiosité au service de l’art. Véronique Collard Bovy a attendu que MP 2018 se termine et elle m’a contactée.

 

Comment distinguer le Cercle des Mécènes et les Mécènes du Sud ?

Véronique Collard Bovy : Les Mécènes du sud, c’est un club historique avec un appel à projet artistique précis. Art-O-Rama a une dimension festivalière que l’on veut renforcer par la création d’un cercle. On ne le prend pas comme un apport à un projet, mais un élargissement à une audience qui finit par s’intéresser à l’art. Pour cela, il faut créer une communauté identifiée qui se retrouve toute l’année. On crée des occasions de rencontres dans lesquelles on va inviter nos mécènes et leur investissement permet d’élargir leur propre cercle de relations.

 

Quelles sont les retombées concrètes ?

Véronique Collard Bovy : Avec l’apport financier du Cercle, on augmente les propositions artistiques, on crée plus de résonnance et de visibilité. On paie les artistes et les intervenants, on organise des visites de presse de tous les nouveaux lieux. Cela sert l’intérêt général.

 

L’argent du secteur privé est-il indispensable pour la visibilité d’ | ?

Véronique Collard Bovy : C’est le croisement des économies qui a un impact réel et effectif. L’investissement du public et du privé permet de construire une politique d’accessibilité avec un coût de billetterie moindre. La soirée Art-O-Rama n’est que sur invitation, mais on en envoie trois mille.

 

Comment se construit la rencontre avec un futur mécène ?

Danièle Fournier-Sicre : On cherche à faire se rencontrer des entreprises qui vendent du luxe ou du premium. Je vais régulièrement à Paris pour prospecter. On leur donne envie de venir s’installer à Marseille et de communiquer à travers le prisme de l’art contemporain. La différence entre le sponsoring et le mécénat repose sur l’engagement à soutenir une cause, il y a un caractère philanthropique.

 

Et plus concrètement ?

Danièle Fournier-Sicre : Avec l’agence immobilière Ma terrasse à Marseille, on a construit un premier rendez vous autour d’un échange. On explique ce que l’on produit, comment on va trouver des affinités communes. Ils souhaitaient élargir leur clientèle pour préparer l’avenir. On les invite à participer à un trajet VIP dans la convivialité et la douceur. La communication autour de leur logo est chiffrée. À partir de là, on dessine les contreparties qui correspondent à un retour adapté. On a un programme d’activités culturelles séduisant (théâtre des Bernardines, théâtre du Jeu de paume, Grand théâtre de Provence,…). On conçoit des soirées avec un secteur VIP ou un toit terrasse, on prévoit un espace privilégié pour créer une séduction et un art de vivre auprès de cette clientèle.

 

Pourquoi les galeries privées à Marseille ont du mal à perdurer dans le temps ?

Véronique Collard Bovy : Les collectionneurs du sud achètent partout. Ils ont des identités de collection, ce sont des arpenteurs. Ils sont évidemment plus nombreux et plus divers dans la capitale. Les groupes de collectionneurs de Bordeaux, Nantes ou Grenoble n’achètent pas nécessairement dans leur propre ville. Seul un plus grand nombre de collectionneurs peut amener plus d’achats à Marseille et dès qu’ils manifestent l’envie de visiter un atelier, on les sollicite. Art-O-Rama organise une nuit des galeries et le quartier de la Préfecture a bien fonctionné pendant la foire, mais on ne peut pas nourrir les galeries sur la durée, c’est à elles d’exister sur le reste de l’année.

 

Le Palais de Tokyo a développé un modèle de mécénat privé exemplaire. Que manque-t-il à Marseille ?

Véronique Collard Bovy : On n’y est pas encore, mais les Mécènes du Sud travaillent avec des entreprises historiques importantes et financent de grandes expositions comme celle d’Anne-Valérie Gasc à l’Espace de l’Art Concret de Mouans-Sartoux. Quant à Art-o-rama, et pour coller à notre ADN, on s’est donné la possibilité de créer une filière Design dans la région avec un prix de cinq mille euros pour que les jeunes designers intègrent le Musée des Arts décoratifs de Marseille.

 

Un artiste peut-il se construire en dehors des galeries qui ne lui proposent souvent qu’une exposition tout les deux ans ?

Véronique Collard Bovy : Une galerie peut participer à une vingtaine de foire dans l’année, ça lui permet d’écouler un nombre considérable d’œuvres. Elle représente les artistes auprès des collectionneurs, des Frac, des foires. C’est une chambre d’écho vis-à-vis de tous les prescripteurs. Il faut que l’écosystème valorise le travail de l’artiste et cet écosystème passe actuellement par Paris.

 

Marseille pourrait-elle suivre l’exemple de Miami, une autre ville du soleil, qui est devenue une place incontournable de l’art ?

Véronique Collard Bovy : Miami possède un immense marché et un pouvoir d’achat incomparable. À partir du moment où la foire Art Basel s’est implantée dans la ville, tout est devenu sans équivalent. Quand tu circules dans la ville, tu ne peux pas passer à côté. On doit développer notre propre histoire, parce qu’on n’a pas la force de frappe d’Art Basel.

 

Que répondre à toutes celles et ceux qui considèrent que l’art contemporain est trop lié au pouvoir de l’argent ?

Véronique Collard Bovy : Que ces liens sont historiques. Il aura toujours fallu un commanditaire pour qu’un·e artiste puisse faire œuvre et ce pour presque toutes les disciplines. Le spectacle vivant s’en est émancipé avec la création du statut d’intermittents pour les auteurs et interprètes en 1968 et 1969(1), ce qui n’est pas le cas pour les acteurs des arts visuels. Certains artistes le déplorent et trouvent des stratagèmes au sein même de leurs œuvres, afin de déjouer, de contourner, ou de combattre ces poussées spéculatives. Cela étant dit, le maillage territorial et la diversité des acteurs publics et privés aujourd’hui ont démultiplié les possibles prescripteurs au sein d’un large éventail. Marseille est cet immense atelier d’artistes où, si la valeur de l’art est une question nécessaire, puisque sa définition permet aussi aux artistes de vivre de leur recherche, elle ne prime pas sur la qualité de la rencontre.

 

Propos recueillis par Karim Grandi-Baupain

 

Pour en (sa)voir plus : fraeme.art

 

 

 

Notes
  1. Le régime d’assurance chômage des salariés intermittents du spectacle, salariés à employeurs multiples, a été généralisé en France à tout le secteur du spectacle vivant après 1965 à partir d’un dispositif spécifique créé en 1936 sous le Front Populaire pour les techniciens et cadres du cinéma.[]