De mon hublot utérin, je te salue humanité et te dis blablabla par la Cie L'Orpheline est une épine dans le pied, au Théâtre Gyptis
Pénélope cherche Télémaque
Dans le cadre du festival dédié à la Méditerranée Mare Nostrum, De mon hublot utérin, je te salue humanité et te dis blabla bla nous emmène dans un périple dans le temps, à travers les dialogues imaginés entre une mère et son fils séparés par l’exil. Une dramaturgie qui n’a pas peur de mettre à la surface les nœuds plus ou moins coulants.
« Mieux vaut mourir mangé par les poissons que rongé par les vers » : telle est la nouvelle devise de la jeunesse algérienne, celle des harragas, qui choisissent l’exil parfois au prix de leur vie (1). C’est autour de cette nouvelle figure de la société algérienne que se tisse le drame écrit par Mustafa Benfodil et mis en scène par Julie Kretzschmar.
Après deux étapes de travail présentées à la Friche, la création, magnifiquement rythmée par la danse de Lucas Manganelli, atteint aujourd’hui un équilibre serein. Portée par trois comédiens, la parole de Tariq — le fils exilé, héros de la pièce — trouve son rythme, oscillant entre la clairvoyance cynique de Thomas Gonzalez et la violence rentrée de Samir El Hakim, en passant par la présence toute poétique de Najib Oudghiri. Interprétée par Elisabeth Moreau, la mère, seule, face à la mer, face à nous et à son désespoir, s’octroie enfin une place de premier choix. Par son élocution admirable et sa présence flamboyante, l’actrice nous fait ainsi entendre les subtilités de ce texte si exigeant, tant par sa forme que par son propos. Si le récit tragique est ponctué de références mythologiques, celles-ci évitent l’écueil du vernis parfois trop classieux des écritures contemporaines. Les lumières, la scénographie et la création sonore de Nicolas Gerber font de l’étroitesse de la petite salle des Salins un atout. Les allusions aux techniques de communication modernes qui ponctuent le texte, ainsi que la métaphore du voyage et du parcours font de ce récit à la construction étrange une œuvre admirablement mise en jeu sur le plateau. Une œuvre où le temps n’existe plus, nous engloutissant sans faire naufrage dans les méandres de l’inconscient maternel. Une œuvre de chair et d’âme, moins cérébrale que ce à quoi la compagnie rattachée aux Bancs Publics nous avait accoutumés. Une œuvre sur l’intemporelle et universelle douleur de la mère, sur son amour imprescriptible.
Joanna Selvidès
De mon hublot utérin, je te salue humanité et te dis blablabla par la Cie L’Orpheline est une épine dans le pied : du 8 au 10/12 au Théâtre Gyptis (117 Rue Loubon, 3e). Rens. 04 91 62 52 42 / www.theatregyptis.com
Notes- Harraga : mot originaire de l’arabe nord-africain « qui brûlent » (les papiers). Migrant clandestin qui prend la mer depuis l’Afrique du nord, la Mauritanie, le Sénégal avec des pateras (embarcations de fortune) pour rejoindre les côtes andalouses, Gibraltar, la Sicile, les îles Canaries, les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, l’île de Lampedusa ou encore Malte.[↩]