L’Interview : Bertrand Wolff alias Simiam Lucis

L’Interview : Bertrand Wolff alias Simiam Lucis

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Daath, c’est le label de Bertrand. Et Bertrand, c’est aussi Simiam Lucis, musicien à tête chercheuse. Avec des amis artistes, il a monté Daath, donc, afin de partager leur amour pour les expériences. Et parce que ce qu’ils font sort du lot et que nous voulions des explications, nous sommes allés à la rencontre du jeune homme, loin d’être bored to daath.

Comment définirais-tu Daath ?
C’est un label que nous avons fondé avec Benoist Bouvot, Benjamin Chaval, Lucien Gaudion et David Merlo. Nous souhaitons défendre des artistes émergents et des projets surprenants. Nous éditons également une revue sonore trimestrielle, ? (Ura), qui permet de rendre compte de l’activité du groupe autour d’un thème précis. Par exemple, nous sortons en ce moment, avec un certain nombre d’artistes invités, le quatrième numéro, Variances/Invariances, dont le thème est le pulsar. Chaque thème choisi s’inscrit dans une fiction qui ouvre certaines perspectives, non seulement dans le domaine purement musical, mais aussi dans d’autres disciplines de la connaissance telles les sciences et la philosophie. De ce fait, nous comptons multiplier les collaborations avec des scientifiques, des philosophes et des artistes visuels.

Ton dernier opus relate l’expérience tragique de Laïka, chienne russe et, surtout, premier être vivant mis en orbite autour de la terre. Trouves-tu un certain épanouissement dans l’album-concept ?
Non, pas forcément, disons qu’il faut maintenir un équilibre entre l’idée et la forme. Je me méfie des concepts au sens où ils peuvent parfois réduire le champ des expériences. Pour Laïka/Orthodoxie par exemple, l’idée de travailler sur cette histoire, cet animal broyé par l’Histoire et la notion de progrès technologique, cette dialectique nature/culture, m’intéressait… Par la suite s’est posée la question : comment donner à entendre ces concepts lourds de sens sans être trop illustratif ? Il ne faut pas rompre cet équilibre et également garder à l’esprit que les possibilités de la musique et du son, par rapport aux formes dites visuelles, sont ses grandes capacités de suggestions. Le problème (et la limite ?) de l’album-concept est donc de réduire le sonore à une simple démonstration, un discours.

Comment composes-tu ?
Tout dépend des projets. La méthode utilisée sur Laïka/Orthodoxie s’apparente, toute comparaison gardée, à celle de la musique dite « spectrale », mouvement musical né dans les années 70 avec des compositeurs comme Tristan Murail et Gérard Grisey. Cette méthode consiste en l’analyse du son (en l’occurrence ici des gémissements et autres sons émis par des chiens) au moyen d’un spectrographe. A partir de ces analyses, j’ai juste gardé la structure globale des sons (l’attaque, la hauteur, l’intensité) et remplacé les sons originaux par des sons synthétiques. Cette méthode n’est pas appliquée à l’ensemble de l’album, pour le reste, la composition est abordée de manière plus « empirique ».

Quel rapport entretiens-tu avec la technologie ?
Je me demande si la technologie, avec sa capacité à transformer nos perceptions et nos modes de penser, est réellement un outil d’émancipation. Des recherches ont été faites à ce propos, je pense notamment au livre d’Hartmut Rosa, Accélérations, une critique sociale du temps.

Penses-tu que l’on assiste actuellement à un regain d’intérêt vis-à-vis des musiques expérimentales ?
Je ne sais pas, mais il est vrai que la multiplicité des évènements, vu le peu de moyens attribués à ce genre de musique, prouve qu’il y a surtout énormément de volonté (de la part des artistes, généralement) à partager ces musiques.

Ton « expérience parisienne » est-elle foncièrement différente de ce que tu vis ici ?
Paris, hormis quelques lieux isolés, n’a pas réellement de culture musicale, en tout cas pour les musiques dites « déviantes ». Les choses semblent plus institutionnalisées et beaucoup plus sclérosées, à l’image de cette ville-musée.

Quelles sont tes principales influences, musicales, artistiques ou autres ?
J’ai été très impressionné par la musique de Giacinto Scelsi et de Pierre Henry. Après, les influences peuvent être très diverses, de la musique baroque aux formes électroniques en passant par des chants diaphoniques. Quant aux autres domaines qui peuvent nourrir mon travail, ils sont là aussi très hétéroclites, en tout cas, je m’y emploie.

Que penses-tu de Marseille Provence Capitale Européenne de la Culture ?
Rien. Je ne suis pas très au fait, comme beaucoup de monde apparemment, des mesures et des projets mis en place pour cet évènement. Ils ont prévu des choses au niveau des musiques actuelles de recherche ?

Propos recueillis par Jordan Saïsset.

Rens. www.daath.org / www.bertrandwolff.com