Galette | Sunset Blue de Kid Francescoli
L’émo bleu
Kid Francescoli se livre et nous enivre une fois de plus avec son album Sunset Blue, qui retrace son parcours d’homme et d’artiste tout en ouvrant la voie à de nouveaux horizons musicaux. Voyage dans une machine à remonter le temps et à raviver les sentiments.
Si l’histoire a maintes fois été répétée, il est toujours bon d’entretenir les légendes, telle que celle d’Enzo Francescoli, grand joueur de foot ayant brièvement évolué à l’OM qui possédait une technique soyeuse et une grâce folle sur la pelouse. Ces qualités faisaient rêver un petit garçon qui deviendrait un jour musicien et emprunterait le patronyme de son idole. Trois décennies plus tard, on pourrait se demander si « El Principe » ne se verrait pas un tantinet éclipsé par la notoriété grandissante de celui qui fut ce jeune fan. Crime de lèse-majesté et emphase mis à part, plus de vingt ans ont passé depuis le lancement de son projet artistique dont il délivre le septième opus et, s’il faut admettre que, dans la cité phocéenne, « Kidou » n’a pas encore l’aura de Zizou (un autre admirateur de l’Argentin), c’est à sa façon qu’il brille autant que leur modèle commun, dont il partage le nom et un soin prononcé pour l’élégance.
Kif Francescoli
Depuis le succès de son titre Blow up en 2013, puis l’explosion de Moon via des vidéos virales en 2020, le succès de Mathieu Hocine n’est plus à démentir et il est désormais l’un des meilleurs représentants internationaux de sa ville au niveau de la musique. Malgré des débuts délicats au mitan des années 2000, c’était sans compter, comme dans tout bon conte de fées, sur cette lumière qui brille au-dessus de lui. À force de travail et mû par une grande pugnacité, il s’est forgé une belle réputation qui lui permet aujourd’hui de continuer son tour du monde des salles de concert (et des plages, constamment, en été) qui ne faiblit pas, une nouvelle tournée aux États-Unis étant programmée début 2024. Établi sur la scène musicale, il profite de la fidélité d’un auditoire sans cesse grandissant et unanime (les commentaires de ses vidéos et réseaux sociaux sont tous positifs et bienveillants), ce qui l’autorise à savourer pleinement son quotidien rêvé d’artiste. Ses boucles, autant capillaires que musicales, font maintenant partie du décor azuréen.
Jamais amer, toujours la mer
Sunset Blue est un carnet de voyage spirituel et musical qui réunit le meilleur de ce que Kid Francescoli sait nous proposer : une certaine idée du romantisme, des morceaux teintés à la fois de joie, de désir(s), de mélancolie, de toutes ces émotions qui se mélangent à différents degrés pour définir qui nous sommes. Des thématiques profondément humaines portées par des compositions à l’ossature organique, dont l’habillage synthétique compte parmi ce que la musique électronique peut produire de plus intelligent et raffiné.
Il est question dans ce généreux album de célébrer la réussite, l’importance de suivre son propre chemin, l’humilité de faire par amour des concessions pour l’autre, de ces âmes aimées qui veillent sur nous ou encore, et surtout, de voyage. Voyage dans des lieux habités ou visités, mais aussi dans l’intime. Le son se veut plus « fat », étalant au gré des onze pistes rythmique funky, basses profondes, cadence limite trance (sur le redoutable Like Magic), vibes R’n B (l’enjoué Sweet and Sour, sublimé par le rappeur Bamby H2O au timbre et au flow imparables, porté par une ligne de basse « chemicalbrotheresque »). Même de copinage avec le trip-hop sur l’instrumental Casino Soul.
Les plages musicales, justement, parlons-en. Tout comme les morceaux chantés racontent parfaitement l’histoire de leur auteur, celles-ci nous replongent dans nos propres sentiments et font mouche pour toucher notre corde sensible. Le très dansant 1986, avec son break aux arpèges made in Francescoli, nous renvoie à des émois indéfinissables, tout en nous incitant à nous déhancher et à clapper (cf l’ironie de danser sur Joy Division). Drift in Blue, son titre le plus méditerranéen à ce jour, jouit de la douceur planante du mandoluth joué par l’impeccable Hakim Hamadouche pour évoquer un voyage dans les steppes ; on sentirait presque une brise tiède nous entourer. Solaris, instru’ typique du Kid, renvoie aux sensations de son Clasico/Belmondo des débuts, comme s’il poursuivait sa quête d’un idéal : écrire le morceau à la mélancolie parfaite. Il en est ainsi de l’émouvant The Morning After, porté par le touchant et éthéré chœur de Julietta dans l’écriture duquel on se dit que Mathieu a dû mettre toute son âme, beau comme la descente d’Oursinet de Sébastien Tellier, sensible comme du Sébastien Schuller, brillant comme du Morricone. Sans doute l’une de ses plus grandes réussites à ce jour. Corsica, qui clôt le disque, est pour sa part très aérien, planant, tel le songe d’une jeunesse envolée dont on a appris à faire fi car, si les moments s’éloignent et les souvenirs s’évaporent, on sait qu’en chacun les émotions subsistent.
Cet album apporte sa pierre à l’édifice. Il voyage en terrain connu quand l’artiste, fidèle à lui-même, élargit progressivement les horizons de sa musique sans jamais se départir des choses du passé. Il revient parfois sur ses terres pour se ressourcer, avant de mieux filer à la conquête de nouveaux territoires, que nous parcour(r)ons une fois encore en sa compagnie avec délectation.
Sébastien Valencia
À écouter : Sunset Blue de Kid Francescoli (Alter K)
Rens. : www.sunsetbluejourney.com/