L’Interview - Franck Dimech

L’Interview – Franck Dimech

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Entre deux répétitions de Woyzeck, le metteur en scène et fondateur du Théâtre Ajmer nous a reçus pour parler en toute décontraction de la mythique pièce de Georg Büchner, mais aussi de ses autres projets. Place à la langue et au corps.

Pourriez-vous nous résumer votre parcours ?
J’ai suivi quelques formations théâtrales, mais je me définirais plutôt comme un autodidacte vis-à-vis du spectacle vivant. J’ai beau avoir des liens avec la scène en raison de mon enfance dans le chœur de l’Opéra de Lyon, je suis d’abord issu d’une formation plastique aux Beaux-Arts. Par la suite, j’ai suivi une formation dans l’actuel département des Arts du Spectacle de l’Université de Provence à Aix. En 1990, j’ai fondé la compagnie Les Foules du Dedans, qui a existé pendant douze ans. Grâce à l’appui de tutelles et d’acteurs culturels locaux, j’ai pu monter le Théâtre de Ajmer en 2002. De nombreux voyages à l’étranger, en Asie surtout, et diverses bourses du Ministère des Affaires étrangères et de la Villa Médicis m’ont permis de nouer des liens avec un monde artistique à part, qui a grandement nourri ma pratique théâtrale. Je pense notamment à Hirata Oriza et sa compagnie Seinendan.

Comment vous est venue l’idée d’adapter Woyzeck et comment avez-vous abordé l’aspect fragmentaire et très sombre de cette pièce ?

L’histoire de cette pièce, qui date de 1837, est déjà originale à la base. Inspirée de l’histoire vraie d’un soldat allemand qui assassina sa maîtresse en 1821, l’œuvre s’est disséminée en quatre manuscrits sans que l’on ne connaisse la fin imaginée par l’auteur. Je suis parti de deux traductions, celles de Pierre Prentki et des éditions de l’Arche. La pièce a été montée en 2011 avec des acteurs auditionnés à Shanghai et Taipei et j’ai fait le choix d’un surtitrage en mandarin. Il y a ainsi une dimension volontairement elliptique et ambiguë qui crée une relation particulière avec le spectateur. L’idée que des comédiens asiatiques puissent nous parler de notre occidentalité à travers leur jeu et leur langue m’a aussi séduit. Cette pièce est, pour moi, plus dans le corps que dans la tête. C’est une pièce de chair, on est entre les langues. Toutes les valeurs du monde en déshérence de Woyzeck, qu’elles soient religieuses, scientifiques ou philosophiques, sont perméables. Dans cet univers en perdition, Woyzeck est en même temps la figure du prolétaire meurtri bien ancré dans la réalité et le dernier homme, le sorcier, qui annonce autant la fin d’un monde qu’un renouveau. En dehors de la question de la langue, l’autre défi a consisté à être capable d’adapter la mise en scène à des espaces plus (en Asie) ou moins (ici) confinés. Les questions de promiscuité ne sont pas les mêmes.

Après Woyzeck, quels sont vos projets ?
Tout d’abord une tournée asiatique de la pièce en Chine Populaire. Ensuite, j’ai été invité comme artiste étranger pour enseigner à Taïwan et créer une production avec des étudiants à partir de Preparadise Sorry Now de Rainer Werner Fassbinder. Pour le mois de mars 2013, le Théâtre national de Taipei va également produire Les Écorchés que je vais mettre en scène et qui sera un diptyque formé de La Dispute de Marivaux et de Manque de Sarah Kane. Enfin, j’ai un projet ambitieux avec le compositeur eRikm et Catherine Jaugniaux pour adapter Les Shadoks.

Que représente pour vous Marseille Provence 2013 ? Qu’en attendez-vous en tant que citoyen mais aussi en tant qu’artiste ?
C’est un projet qui, je l’espère, permettra de sortir Marseille et son monde culturel et politique de son inertie chronique. Nous en avons bien besoin. Je n’ai pas proposé de projets dans ce cadre car j’étais déjà pas mal occupé avec les miens à l’étranger. Il m’est déjà difficile de développer des outils, de se structurer localement, alors… Je dois d’ailleurs vite retourner au théâtre.

Propos recueillis par Guillaume Arias
Photo : Woyzeck par Hsu Ping

Woyzeck de Karl Georg Büchner par le Théâtre de Ajmer :
– Jusqu’au 28/01 au Théâtre de la Minoterie (11 rue d’Hozier, 2e). Rens 04 91 90 74 28 / www.minoterie.org
– Le 1/02 au Théâtre Antoine Vitez (29 Avenue Robert Schuman, Aix-en-Pce). Rens. 04 42 59 94 37 / theatre-vitez.com