Gazage © Touhid Loudin | Ventilo

L’entretien | David Dufresne

Mains arrachées, œil perdu, visages défigurés, comas, décès… De plus en plus d’interactions entre la police et la population semblent aboutir à des drames. À l’occasion de l’un de ses « Procès du siècle », le Mucem a invité David Dufresne, journaliste et écrivain spécialisé dans les questions de police et de justice, pour débattre de l’épineuse question des violences policières.

 

 

Depuis 2016, nous observons presque chaque année l’émergence de nouveaux mouvements sociaux marqués par des confrontations entre forces de l’ordre et manifestants. Les quartiers populaires sont régulièrement le théâtre d’arrestations violentes, débouchant parfois sur des tragédies. De plus en plus d’images nous parviennent, montrant des policiers détruisant les abris de fortune d’exilés impuissants ou réprimant sévèrement de jeunes fêtards venus danser lors de free parties. Votre engagement de plus de vingt ans sur les questions de police et de libertés publiques vous place en tant qu’observateur privilégié de ces phénomènes. Selon vous, assistons-nous à une augmentation des violences policières ?

Tout d’abord, il est important de souligner qu’il n’existe pas de consensus sur la définition exacte de « violence policière ». Or, cette absence de compréhension claire et partagée des violences policières complique inévitablement le travail d’identification, de recension et d’enquête sur le sujet. Par ailleurs, nous faisons face à une incapacité de la part de la police de fournir des statistiques fiables et suivies dans le temps. Nous avons bien les rapports de l’IGPN, mais leurs critères varient constamment. Les données y sont parfois présentées en termes absolus, d’autres années en termes relatifs, et l’apparition ou la disparition de certaines catégories d’incidents complique davantage les choses. Par conséquent, il est difficile de déterminer si les violences policières ont augmenté ou diminué au fil du temps.

Dans certains contextes, l’augmentation du nombre de décès est notable en raison de modifications législatives. Par exemple, l’année dernière, nous avons observé une hausse significative des décès résultant de refus d’obtempérer, une conséquence directe de changements dans la législation. De même, les mouvements sociaux actuels enregistrent un nombre accru de blessures graves ou de mutilations. Cette situation s’explique par le changement des types d’armes utilisées par les forces de l’ordre et par une évolution dans leur doctrine d’intervention. Il est donc évident qu’à certains endroits, la violence s’est intensifiée par rapport au passé. Toutefois, à l’échelle du temps, cette analyse peut être nuancée : au 19e siècle, par exemple, les manifestants mourraient sous les tirs à balles réelles des militaires.

Le changement majeur réside dans le fait que les violences policières sont plus fréquemment évoquées dans les médias, grâce à une documentation plus riche, notamment en photos et vidéos, qui existait moins il y a dix à quinze ans. Cette abondance de preuves et d’illustrations a renforcé la position des victimes de violences policières dans la « bataille culturelle ». Est-ce que cela signifie qu’il y en a plus qu’avant ? On n’en sait rien. Mais ce qui est sûr, c’est qu’on parle plus.

 

David Dufresne © Alexandre Lard

C’est tout le sens du travail que vous avez mené lors du mouvement des Gilets Jaunes avec « Allô Place Beauvau » : documenter les pratiques policières dans le cadre du maintien de l’ordre en manifestations, rassembler et signaler un certain nombre de cas avérés de violences policières que vous constatiez sur le terrain et qui n’étaient pas recensés par les pouvoirs publics.

Qui n’étaient pas recensés par les pouvoirs publics et qui étaient silenciés par les médias dominants ! Ce qui permettait aux politiques de mentir. À l’époque, on faisait face à un silence médiatique et à un mensonge politique.

« Allô Place Beauvau » n’était pas qu’une simple énumération sur Twitter. Il s’agissait de mettre en lumière un système. Il s’agissait de dire : ce système est là, sous nos yeux, il permet à la police de commettre des actes d’une violence extrême, allant jusqu’à mutiler et blesser gravement des manifestants, et même tuer (Zineb Redouane, Steve Maia Caniço), qu’ils soient passants, pacifiques ou non. Or, faut-il rappeler que la mission de la police n’est pas de se faire justice elle-même ou de blesser les citoyens, mais plutôt de les remettre à la justice en cas de délit présumé ? Malheureusement, cette distinction fondamentale a complètement explosé sous nos yeux.

 

Vous avez mentionné une évolution dans les méthodes d’intervention de la police, que ce soit dans les mouvements sociaux ou dans d’autres contextes. Cette modification de la doctrine et des pratiques de maintien de l’ordre est souvent associée à la période où Nicolas Sarkozy était ministre de l’Intérieur. Partagez-vous cette analyse ?

Le schéma Sarkozy porte un nom : il s’agit du lean management, une approche axée sur l’atteinte d’objectifs chiffrés et l’utilisation de statistiques dans les services publics. Cette logique, typique du modèle capitaliste occidental, a été transposée dans la police, les incitant à se concentrer sur des objectifs mesurables et quantifiables dans leur pratique. Initialement instaurée au milieu des années 2000, cette politique est toujours d’actualité, même quinze à vingt ans plus tard, et n’a pas été sérieusement remise en question.

Or, cette focalisation sur la performance a d’importantes répercussions sur la santé mentale des policiers. Nombreux sont en véritable souffrance ! On exige d’eux un rendement élevé, récompensé par des primes ou sanctionné par des brimades, on compare les performances des commissariats entre eux… Le taux élevé de suicides dans la profession témoigne de l’impact délétère de cette pression constante pour atteindre des objectifs chiffrés.

D’autre part, ce management moderne, appliqué à la police, a conduit à une plus grande autonomie des forces de l’ordre, particulièrement visible à Marseille avec les unités de la BAC dans les quartiers populaires. Ces policiers, tant qu’ils atteignent leurs objectifs fixés, ne sont pas véritablement tenus de rendre des comptes. Il faut imaginer ! Le lundi, on leur demande d’atteindre un certain nombre d’affaires dans la semaine, en les laissant libres de leurs méthodes pour y parvenir jusqu’au lundi suivant. Partant de là, ça donne les coudées franches à toutes sortes de comportements déviants et très problématiques.

En réalité, cette dynamique affecte l’ensemble des services publics : partout, on demande aux agents de répondre à des objectifs chiffrés en leur mettant la pression. Mais le problème dans le cas de la police, c’est que c’est un service public armé ! Les contrecoups d’une telle politique sont d’autant plus désastreux.

 

Vous avez précédemment évoqué le fait que les victimes de violences policières avaient renforcé leur position dans la « bataille culturelle ». Il semble en effet que le traitement de cette question ait un peu évolué dans les médias traditionnels. Et pourtant, vous n’êtes pas toujours tendre avec eux. Maintenez-vous cette position critique envers les médias ou observez-vous des changements dans leur approche ? Si oui, quels sont-ils et comment expliquez-vous ce revirement ?

C’était précisément tout l’objet de mon film Un pays qui se tient sage. Il s’agissait de dire : maintenant que le débat est ouvert, nourrissons-le intellectuellement, réfléchissons sur le fond, allons au-delà de la simple actu. Aujourd’hui, on ne voit certes plus écrit l’expression « violences policières » avec des guillemets sur les bandeaux de BFMTV. C’est un progrès notable, d’accord. Mais le discours dominant a quand même repris le dessus. Une affaire de violences policières attire l’attention des médias surtout lorsque la nature indéfendable de l’incident est trop évidente pour être ignorée. Dans ces situations, bien que les voix critiques de la police soient sollicitées, ce sont celles du ministère de l’Intérieur ou des syndicats de police qui prédominent. Les victimes, quant à elles, restent inexorablement suspectes.

Donc oui, je continue de penser que les médias, dans ce domaine comme dans d’autres, ne sont pas à la hauteur de leurs responsabilités. Ils n’assument pas leur rôle dans la fabrique de l’opinion publique. Ils prétendent ne pas l’influencer, mais en réalité, ils le font et ils le savent. Dans mon film, l’historienne Ludivine Bantigny pose la question « quel ordre protège les forces de l’ordre ? ». Les médias incarnent cet ordre que la police protège : un ordre marqué par l’injustice, les inégalités sociales et économiques, sans même parler des inégalités de genre ou de race. Ils accompagnent, tirent profit de ce système, et ne le remettent en question qu’à la marge, de manière superficielle.

 

En effet, après le visionnage de votre film, la question soulevée par Ludivine Bantigny trotte dans la tête : quel est cet ordre que les forces de l’ordre s’efforcent de protéger ? S’agit-il de l’ordre capitaliste ?

Dans une certaine mesure, oui. Mais la police a d’abord pour rôle de défendre l’ordre qui est en place, l’ordre qui lui donne des ordres. Si demain Marine Le Pen arrivait au pouvoir, les mêmes policiers qui ont servi sous François Hollande continueraient de servir sous son gouvernement. De même, si la France se transformait en monarchie, la police soutiendrait le régime monarchique. En 1940, quand Pétain a pris le pouvoir, il y a très peu eu de démissions au sein de la police française !

La police, prétend-t-elle, ne fait pas de politique : elle défendrait le statu quo. C’est là, selon moi, le problème fondamental. Elle opère comme si elle n’avait pas à se préoccuper des implications politiques de ses actions, comme si son rôle était neutre et sans conséquences. Or, ce n’est clairement pas le cas.

 

Un simple changement de doctrine de maintien de l’ordre serait-il suffisant pour transformer de manière radicale la situation relative aux violences policières ?

Si on change l’armement, la formation et l’attitude complaisante de la hiérarchie, cela peut entraîner des améliorations significatives. Les décideurs politiques ont la capacité d’influencer la police. Il faut toutefois se poser la question de savoir qui dirige réellement aujourd’hui : est-ce toujours le ministère de l’Intérieur qui pilote son ministère ? Ou bien y a-t-il une ingérence des syndicats de police dans la prise de décisions ?

 

Côté police, si le maintien de l’ordre tend à se muscler, c’est que les méthodes des manifestants se sont radicalisées. Du point de vue des manifestants, si radicalisation de leurs méthodes il y a, c’est que l’ordre social qu’ils contestent ne cesse de se radicaliser lui-même. La police répondant invariablement à l’ordre de protéger l’ordre, quand bien même contesté, auprès duquel elle prend ses ordres… Le serpent qui se mord la queue ?

Le maintien de l’ordre que l’on appelait complaisamment « à la française » a connu une évolution notable. Dans les années 80-90, après la mort de Malik Oussekine, l’approche privilégiée était de garder une certaine distance avec la foule et d’éviter les confrontations directes. Une méthode de quasi désescalade désormais largement battue en brèche. Aujourd’hui, on observe une police beaucoup plus offensive. Cette approche contraste d’ailleurs avec la tendance observée dans le reste de l’Europe où les forces de l’ordre peuvent certes se montrer violentes, mais où la violence n’est pas le premier recours. La nature plus ou moins offensive du maintien de l’ordre est déterminée en amont par des consignes précises. Par exemple, sous l’autorité de Laurent Nunez, l’actuel Préfet de police de Paris, la stratégie adoptée pour certaines manifestations semble s’écarter de la provocation, privilégiant une approche où les policiers gardent leurs distances. Une méthode qui a porté ses fruits, puisqu’une réduction des incidents et des affrontements a pu être constatée.

Par ailleurs, je veux dire mon désaccord avec Gérald Darmanin qui considère que les atteintes aux biens sont quasiment comparables aux atteintes à la personne. Il est fondamental de maintenir cette distinction, qui plus est au plus haut sommet de la hiérarchie, sans quoi la gradation de la réponse policière dans le cadre du maintien de l’ordre est entièrement compromise. Si l’on assimile la dégradation d’une vitrine au fait de blesser, ou même de tuer quelqu’un, c’est un énorme changement dans la perception et l’évaluation de la violence.

Il est toutefois indéniable que les récentes manifestations, en particulier celles à Paris, ont atteint des niveaux d’intensité qu’on n’avait certainement pas vus depuis l’époque de la Commune, notamment dans les beaux quartiers. Cependant, je ne suis pas sûr que la violence manifestante ait radicalement augmenté. Certes, on nous incite à regarder le nombre d’arrestations, mais la crédibilité de ces chiffres est sujette à caution, étant donné qu’ils ont pu être déterminés en amont, comme objectifs à atteindre.

Ce qui est vrai c’est que, pendant les révoltes de cet été, suite à la mort de Nahel, des incidents impliquant des tirs à balles réelles dans les quartiers ont été signalés, une escalade de la violence non observée jusqu’alors dans d’autres mouvements sociaux. Par ailleurs, de plus en plus de personnes s’écartent des organisations syndicales traditionnelles, ce qui complique la tâche de la police. Mais compliquer la tâche policière ne veut pas nécessairement dire qu’il y a une augmentation des violences en manifestations !

On peut également constater, en particulier dans le cadre des manifestations des Gilets Jaunes ou celles contre les réformes des retraites, un retour de l’engagement physique de certains participants, pouvant mener jusqu’à des affrontements directs. Est-ce pour le plaisir ? Faut-il y voir la traduction d’un désespoir social ? Est-ce une autre façon de s’engager politiquement ? La France a une histoire complexe avec la violence. Elle s’est construite en partie sur la Révolution Française, c’est-à-dire sur un soulèvement populaire. En comparaison, aujourd’hui, la situation apparait bien plus tendre !

Poursuivre la réflexion nécessite de s’arrêter sur la façon dont les violences sont perçues par le pouvoir selon le groupe qui la commet. Les manifestations paysannes actuelles, avec leurs déversements de fumier et explosions de vitres de bâtiments publics, telles que celles menées par les viticulteurs à Carcassonne, ne sont pas qualifiées d’écoterrorisme, contrairement aux manifestations contre les mégabassines. Entendons-nous bien : des agriculteurs qui bloquent une ville ne sont pas traités de la même façon que des écologistes qui bloquent des mégabassines. Pourtant, dans les deux cas, on parle bien d’un trouble à l’ordre public ! La question sous-jacente est donc celle de la légitimité et du sens de l’histoire : dans cet exemple, il s’agit de savoir s’il faut poursuivre avec l’agriculture intensive ou bien repenser notre rapport à la nature. À ce stade de la réflexion, effectivement, si l’on se limite aux doctrines et aux formations de maintien de l’ordre, on ne fait qu’effleurer la surface du problème.

 

Qu’en est-il de la question du racisme au sein de l’institution policière ?

Le problème du racisme dans la police semble évident pour tout le monde, à l’exception des syndicats de police et du ministre de l’Intérieur qui continuent de le nier. Dernièrement, un haut responsable de la police anglaise a admis l’existence d’un racisme systémique au sein de ses forces. On perçoit la différence avec le discours en France ! Pourtant, une telle reconnaissance est cruciale. Sans une prise de conscience au sein de notre police concernant l’existence d’un racisme enraciné, nous nous dirigeons vers des difficultés majeures.

 

Une fois passées les violences policières, des plaintes peuvent être déposées, amorçant un long processus judiciaire pour les victimes en quête de reconnaissance et de réparation. Prenons l’exemple de l’affaire Théo Luhaka, victime de violences policières à Aulnay-sous-Bois en 2017 : ce n’est qu’aujourd’hui, six ans après les faits, qu’un procès s’ouvre. Il y a aussi le cas de Zineb Redouane, décédée ici, à Marseille, en 2018, dont le procès n’a toujours pas eu lieu. Cela soulève une question : les actes illégaux commis par la police sont-ils sanctionnés par le système judiciaire ?

On a également vu s’ouvrir le procès du commissaire responsable de l’ordre de la charge policière ayant causé la chute de Geneviève Legay pendant le mouvement des Gilets Jaunes. Mais on est encore très loin du compte. Bien qu’il y ait légèrement plus de poursuites aujourd’hui, celles-ci prennent un temps infini. La collaboration étroite entre la justice et la police complique les choses, soulevant des doutes quant à l’indépendance de la justice, surtout dans les cas de violences policières.

On observe cependant une prise de conscience croissante de la part des magistrats, notamment en ce qui concerne les « faux en écriture publique », ces faux rapports rédigés par les policiers pour se couvrir. Des affaires commencent à émerger et des procès s’ouvrent, bien que ce soient des cas isolés. Mais pour vraiment cerner le problème, au-delà des cas individuels, c’est un débat approfondi sur les pratiques policières qu’il faudrait.

 

« Faut-il parler de violences policières ? », c’est la question qui vous sera posée au Mucem lors du « Procès du siècle » auquel vous êtes invité à participer. Certaines personnalités, situées à gauche, comme François Ruffin ou Fabien Roussel, semblent chacune à leur façon préférer éviter ou du moins aborder moins directement ce sujet, orientant plutôt les discussions vers d’autres thèmes. Alors, selon vous, faut-il parler de violences policières ? Y a-t-il une nécessité à poser ces termes ?

Fabien Roussel et François Ruffin adoptent en effet des lignes politiques bien distinctes. Roussel se positionne, à mon sens, sur une vision fantasmée des policiers comme ouvriers de la sécurité, dans une approche qu’on pourrait qualifier de « communisme réactionnaire ». La position de Ruffin est plus nuancée. Selon lui, les violences policières ne constituent pas un enjeu politique majeur capable de rallier les électeurs de gauche. Il n’a pas forcément tort en plaçant des sujets comme la santé, le logement ou l’éducation en priorité, reléguant les questions de libertés, moins influentes électoralement, au second plan. Macron, de son côté, semble adopter une stratégie opposée en restreignant les libertés, cherchant à séduire l’électorat de droite.

Personnellement, s’il faut parler de « brutalité d’État » plutôt que de « violence policière », je n’y vois aucun inconvénient. Cependant, l’expression « violence policière » étant bien établie dans le débat public, il peut être utile de maintenir l’utilisation de ce terme pour des collectifs de familles de victimes, des victimes, des avocats, des chercheurs ou des associations.

 

Concernant la police, différentes approches sont souvent débattues au sein des mouvements sociaux : certaines visent à son abolition, d’autres à établir une fraternisation, tandis qu’une troisième prône sa réforme. Quelle est votre position à cet égard ?

C’est quasiment un sujet de philosophie ! L’idée d’abolir la police est portée avec beaucoup d’ardeur, mais par très peu de gens. Cette question est en réalité révolutionnaire dans son essence. D’ailleurs, cet aspect n’est pas toujours clairement énoncé par ceux qui la portent. Abolir la police sans changer le système dans son ensemble serait inutile, car elle serait simplement remplacée par une autre forme de contrôle, comme des milices peut-être. Cela suggère un changement radical de toute la société, y compris dans sa manière de concevoir la police. Une telle révolution ne me paraît pas être à l’ordre du jour. Bien que la proposition d’abolition soulève des questions importantes et stimule la réflexion, offrant ainsi des perspectives intéressantes, elle demeure une approche plutôt marginale.

Je crois que la question de fraternisation entre la police et le peuple sous-tend elle aussi un moment révolutionnaire. C’est ce que soutient un historien tel que Éric Hazan, pour qui la fraternisation est le moment révolutionnaire en tant que tel. Selon lui, une révolution réussit quand les forces de l’ordre, y compris la police et l’armée, baissent la crosse et se rallient au peuple. Mais là encore, je n’ai pas l’impression que l’heure actuelle est… à la concorde.

Il reste donc la réforme de la police. Mais il existe une autre perspective, ici omise, celle du statu quo, qui prévaut et s’impose : « ne rien changer, continuer comme avant ». Cette approche est aujourd’hui dominante et écrasante. Or, les politiques qui ont voulu introduire l’idée d’une réforme de la police, tels que Philippe Poutou ou Jean-Luc Mélenchon, ont été et sont toujours vivement discrédités. Leurs propositions ne percent pas. Elles sont rejetées souvent sous prétexte de déclarations maladroites, comme celle affirmant que « la police tue ». Mais ces mots reflètent une réalité, et la question importante est de comprendre pourquoi, comment et au nom de quoi la police tue. Les débats étant solidement verrouillés, les propositions réformistes sur la police n’ont finalement pas ou très peu d’écho.

Le chemin est encore long. Il y a ce bloc politique, allant de l’extrême droite à la gauche modérée, qui détient le pouvoir et refuse obstinément de se pencher sur le rôle et la nature de la police. Néanmoins, ceux qui plaident pour une réforme sont probablement ceux qui ont le plus de chance d’aboutir. La grande interrogation reste : comment attirer l’attention de ce bloc politique, obstinément sourd aux questions de violences policières, pour initier un véritable changement ?

 

Propos recueillis par Gaëlle Desnos

« Procès du Siècle – Faut-il parler de violences policières ? », avec David Dufresne et Slim Ben Achour : le 5/02 au Mucem (2e).

Rens. : www.mucem.org

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