Charlie à la fête
Et si Charlie Jazz était encore une fois le festival le plus… authentique… novateur… convivial… festif… de la région ? Inutile de chercher à rayer une mention inutile, il n’y en a pas ! Alors que les matins s’annoncent de plus en plus bruns sur le vieux continent, l’association organisatrice, toujours animée par l’esprit de résistance au fascisme (comme lorsqu’elle tint bon sous les coups bas des Mégret il y a un bon quart de siècle), propose des soirées métisses et multicolores avec certaines des meilleures propositions jazz actuelles, fussent-elles novatrices ou patrimoniales.
C’est toujours mieux d’arriver à l’heure de l’apéro, pour profiter des fanfares qui ouvrent chacune des trois soirées. Les vénérables Accoule Sax’ seront de la partie — rappelons qu’ils tirent leur nom de la montée éponyme au Panier, où ils firent leurs premières armes. Notons la présence de Misstrash en ouverture de la troisième soirée, groupe déambulatoire à 90 % féminin, à l’instrumentation originale et aux atours d’un défilé drag queen à même de faire rendre gorge au moindre fieffé facho — avec sa bile, restons non violent. Quant à l’Impérial Kikiristan, on leur saura gré de subvertir l’ordre géopolitique le temps d’une promenade sous les platanes de Fontblanche.
C’est à Tony Swarez, du haut de son estafette, qu’il appartiendra de nous faire danser en clôture des trois soirs : nanti d’une culture musicale superlative dans les musiques « black », depuis la lointaine époque du fanzine Scratch, ce DJ enchante les publics européens avec son Walkabout Sound System.
La scène du Moulin, consacrée aux formations « émergentes », convie dès le premier soir le trop rare groupe Méandres, dont la « pop alternative » résonne dans la région depuis plus d’une paire d’années. Le violoncelliste Emmanuel Cremer, le chanteur sax’ Fabien Genais et le vibraphoniste/flûtiste Uli Wolters invitent Émilie Lesbros pour un tour de chant que l’on pressent tangentiel, ainsi que le rappeur novateur Mike Ladd pour des déclamations incantatoires aux accents punk. Le deuxième soir, place à Cagoules & Décalcomanies, dont le jazz tendre décolle vers des horizons émancipateurs : la chanteuse-flûtiste Fanny Ménégoz et le saxophoniste vocaliste Nicolas Stephan ont nommé le groupe ainsi en hommage aux zapatistes, dont ils croisèrent la route insurrectionnelle. Quant à Mowgli, un trio aux accents électro, il devrait, le dernier soir, tous nous faire devenir enfants sauvages !
Quand vient l’heure des premières parties sur la grande scène, dite « des platanes », c’est là qu’on regrette d’être arrivé trop tard pour trouver à s’asseoir.
Une digne représentante du London Jazz actuel en foulera les planches le samedi soir. Avec son groupe, l’Anglaise d’origine nigériane Camilla George, issue du collectif Tomorrow’s Warriors (dont proviennent aussi Shabaka Hutchings et Nubya Garcia, entre autres), déroulera ses contes musicaux issus du patrimoine Ibibio (le nom du peuple de ses ancêtres) dans un mix afro-beat aux effluves hip-hop qui n’oublie jamais de swinguer en toute liberté — elle revendique un héritage musical de Jackie McLean dans son jeu de saxophone.
Le dimanche soir, ce sera au tour du quintet Poetic Ways de titiller les émotions du public. Cinq musicien·nes qui se sont trouvé·es dans des vibrations communes entre Gabriel Fauré et Nina Simone, Baudelaire et Léo Ferré… lors d’un set impromptu au Conservatoire de Marseille. Frissons de sensations contrastées à venir avec la voix profonde de Célia Kameni, le jeu de saxophone spirituel de Raphaël Imbert, le swing impressionniste de Pierre-François Blanchard au piano, et une section rythmique dont le sens poétique ne saurait être mis en défaut (Pierre Fénichel, contrebasse ; Anne Paceo, batterie).
Quant aux têtes d’affiche, cette année, ce sont de véritables stars que le directeur artistique de Charlie Jazz, Aurélien Pitavy, a réussi à programmer.
Rien de moins que LE Marcus Miller le premier soir. S’il a porté la basse électrique à ses sommets, notamment par un slap ravageur, funky et mélodique, il ne dédaigne pas pour autant la contrebasse ou la clarinette basse. Avec son groupe, il défendra, dans un cadre intimiste pour lui, un répertoire inspiré des musiques de films qu’il composa dans sa longue carrière artistique.
Pour le deuxième soir, c’est un monstre sacré du piano jazz qui s’avancera sur la scène principale : LE Monty Alexander, qui, né le 6 juin 1944, vient de sortir un album d’une vigueur détonante — évidemment intitulé D-Day. Son swing plus que fondant est nanti d’un sens du time plus que profond, faisant de lui le héraut d’un jazz joyeux trempé dans une exigence artistique à toute épreuve. Bien que repéré par Sinatra à peine débarqué de Kingston lors de son arrivée à Miami au sortir de l’adolescence, et rapidement surnommé « l’autre Oscar Peterson », il n’a jamais renié ses origines jamaïcaines, proposant des incursions dans le reggae jusque sur son dernier opus. Que les puristes du jazz ne s’étonnent pas si jaillissent du public quelques Pull Up et autres Bombocloat : il ouvre D. Day en déclamant les paroles de War de Bob Marley (que le rasta emprunta au discours d’Haïlé Sélassié dénonçant l’invasion de l’Éthiopie par l’Italie fasciste), glisse quelques incartades vers la syncope jamaïcaine au détour d’une composition avec son trio, et termine par l’hymne mento et prolétarien Day-O, the banana boat song — issu d’une grève des dockers de Kingston. Jazz, reggae et lutte des classes donc. Que demande le peuple ? Un peu plus d’herbes de Provence certainement…
Enfin, le dernier soir, vagues d’émotions maritimes avec le trio Mare Nostrum, regroupant le trompettiste sarde écolo Paolo Fresu, le « souffleur » (accordéoniste et bandonéiste) Richard Galliano et le pianiste Jan Lundgren : poésie dansante aux effluves iodées, quoi de mieux pour nous donner à rêver d’un autre futur ?
Laurent Dussutour
Charlie Jazz Festival : du 5 au 7/07 au Domaine de Fontblanche (Vitrolles).
Rens. : www.charlie-jazz.com
Le programme détaillé du Charlie Jazz Festival ici