Passions partagées au Mucem, vue de l'exposition © Laurent Lecat

Passions partagées au Mucem

Libres échanges

 

L’exposition Passions partagées se propose de faire dialoguer la Collection Lambert et les réserves du Mucem. Le choix de cette rencontre particulière vient en bonne partie de la spécificité même du Mucem, dont la thématique constitue une sorte d’unicum au sein des musées nationaux par son engagement populaire, social plutôt qu’artistique, qui peine à attirer les visiteurs comme le font, ailleurs, les grands noms d’artistes et les œuvres célèbres.

 

 

Dans ce contexte, l’accueil d’artistes modernes ou contemporains a jusqu’ici procuré au Mucem une bouffée d’air bienvenue, invitant à entrer des visiteurs qui, pour deux tiers d’entre eux, se contentent du toit terrasse et de sa vue sur la mer. Se sont ainsi succédé au fil des ans Picasso (2016), Ai Weiwei (2018) et Jeff Koons (2021). Pour l’été 2024, c’est Damien Hirst qui devait à son tour occuper l’espace d’exposition temporaire, jusqu’à ce que ce projet, déjà bien avancé, soit brusquement annulé à l’automne dernier, pour des raisons restées obscures.

Pour combler ce vide, une exposition devait être préparée en un temps record, quelques mois, pour ce qui nécessite habituellement plusieurs années de travail. Ce sera Passions partagées, associant aux collections du Mucem non pas le nom d’un artiste connu mais celui, plus discret, d’un grand galeriste et collectionneur fort respecté du monde de l’art : Yvon Lambert. Le résultat est un bouillonnement d’idées associant œuvres et objets dont le dialogue complexe, parfois brouillon, rappelle cette ligne des Chants de Maldoror bien aimée des surréalistes : « Beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie ». Ainsi, sur la première cimaise, c’est un portrait de cowboy de la série America, du photographe Andres Serrano, qui accompagne le texte intitulé L’éclat méditerranéen, évoquant le caractère provençal du musée marseillais et du galeriste, né à Vence en 1936. Un peu plus loin, et plus facétieux, c’est Snoop Dogg, issu de la même série, qui semble deviner, au-delà des œuvres massivement agitées de Jean-Michel Basquiat et Robert Combas que son regard survole, le petit CD d’or remis à IAM et discrètement caché derrière la cimaise opposée.

D’autres échanges sont plus directement parlants, en un équilibre fragile. Ainsi la partie intitulée « Traces, lignes, formes. Habiter l’espace » associe-t-elle les travaux au minimalisme répétitif bien connu de Daniel Buren et de Niele Toroni à un échantillon centenaire de tapisserie décorative italienne et aux planches parallèles d’un fond de tonneau. Une sculpture de jeunesse de Carl Andre, évoquant un sablier, côtoie une quenouille roumaine d’une complexité géométrique qui la dépasse, pendant que Pan, polyptyque complexe de Cy Twombly associant abstraction et écriture énergique pour évoquer sa fascination pour les mythes antiques, cohabite comme il peut avec une flûte hongroise, elle aussi de Pan.

C’est peut-être dans le catalogue de l’exposition, à paraître prochainement, que ce dialogue jusque-là agité montre un sens plus profond. Basé sur une conversation entre Yvon Lambert lui-même, Marie-Charlotte Calafat (commissaire de l’exposition) et quelques autres, l’ouvrage devient le théâtre où se jouent œuvres et souvenirs, au fil des choix, hasards et évidences qui les constituent. C’est aussi l’impression que laissent, dans les dernières salles de l’exposition, les photographies de Nan Goldin (dont un portrait d’Yvon Lambert, fringuant, en 1996), les installations aux stigmates sombres de Christian Boltanski, les cartes postales qui confirmaient par leur envoi qu’On Kawara était toujours vivant ou encore l’obscure clarté décrite en un tournesol noir semant ses graines par Anselm Kiefer, associés simplement à des ex-votos, des amulettes et des reliquaires. Ici se retrouve, presque religieusement, l’intention si difficile du musée comme du collectionneur de conserver, au-delà des œuvres et des objets, la mémoire de l’instant vécu.

 

Pierre-Nicolas Bounakoff

 

Passions partagées : jusqu’au 23/09 au Mucem (7 promenade Robert Laffont, 2e).

Rens. : www.mucem.org