Captifs des glaces de Clément Baloup et Hugo Stephan

Captifs des glaces de Clément Baloup et Hugo Stephan (Éditions Steinkis)

Après une réinterprétation du mythe d’Œdipe dans un Marseille marqué par la peste de 1720, Clément Baloup nous emmène en expédition au Pôle Nord avec les équipes de George W. Melville et du commandant De Long. Conçu en collaboration avec Hugo Stephan pour le dessin et publié aux éditions Steinkis, ce nouveau roman graphique, Captif des glaces, prend pour point de départ la cité phocéenne et nous entraîne dans une formidable épopée géopolitique à travers les voies maritimes, où la réalité dépasse très souvent la fiction.

 

 

Les routes intouchées par l’homme exercent une fascination presque morbide pour les sociétés occidentales du 19e siècle. Au péril de leur vie, de nombreux explorateurs s’aventurent sur ces chemins inexplorés, s’engagent dans un affrontement perpétuel avec les éléments. L’incipit de Captif des glaces raconte la traversée de Pythéas, grand navigateur de Massalia, à la recherche d’une route commerciale dans le nord. Il aurait notamment découvert l’île mythique de Thulé (en actuelle Islande). Il semblerait en effet que le Massaliote soit l’un des premiers à avoir exploré cette région inhospitalière que représente l’Arctique. En affabulateur invétéré, il sera longtemps démenti par ses contemporains, qu’il s’agisse de Strabon, Pline l’Ancien ou Diodore de Sicile.

Même si l’on doute de la véracité du modèle du bateau, qui s’éloigne du pentécontore avec lequel les Massaliotes avaient pour habitude de naviguer, le choix d’une esthétique sépia nous plonge sans plus attendre dans l’univers particulier de la marine.

En effet, ce sont les couleurs qui permettent ce voyage dans le temps et dans l’espace, depuis la genèse de l’expédition sur le port New York, jusqu’en Allemagne, où le temps de recherche se poursuit, avec la décision de passer par le Détroit de Béring. Le vert, et le rose dont le pastel tranche avec un trait incisif, comme tracé à la pointe du ciseau, annoncent, en filigrane, la difficulté d’une telle entreprise. Bientôt le bleu, puis quelques traces rouges sortiront du décor. Les actions, effrénées en début d’ouvrage, cèdent bientôt à un immobilisme dérangeant, illustrant le piège qui se referme lentement sur le bateau, et par extension, sur la vie des marins qui l’habitent.

Avec une postface de l’universitaire Vincent Piolet, les auteurs souhaitent marquer l’importance du contexte de ces découvertes. La géopolitique de l’époque est en effet promotrice de cette notion de propriété, qui va caractériser les siècles suivants, et la manière dont on réfléchit le nationalisme dans les grandes et les petites puissances. Le roman prend ainsi des allures de documentaire.

Et pourtant. La dernière partie de l’ouvrage, comme une césure dans le scénario, adopte une nouvelle posture. Il semble s’allonger, prenant pour objet la biographie du personnage de Melville, qui va affronter une seconde fois les éléments à la recherche du reste du commandant et de son équipage. C’est le courage d’un homme et le respect de sa mission qui se dessine peu à peu à travers ces pages. Les personnages y sont décrits tout en tension, dans leur complexité, dans un formidable travail de retranscription du réel. Il vous donnera envie d’en savoir plus, de dépoussiérer vos vieux atlas, et de dénicher d’anciennes cartes marines.

 

Laura Legeay