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Paradis Naturistes au Mucem

Porté au nu

 

Véritable pied-à-terre des questions de sociétés qui traversent notre époque, le Mucem consacre son deuxième semestre 2024 à la thématique du naturisme. L’exposition Paradis Naturistes, et ses 500 mètres carrés de photographies, d’archives vidéo et de peintures, nous invite à initier un repositionnement face à au corps, à l’image et à l’altérité, dans une mise à nu teintée d’humanité.

 

 

Légèrement verdi par les années, son bronze semble le figer dans un élan d’un autre temps. Il lui manque deux pieds et un bras, mais sa carrure nerveuse et allongée n’a rien à envier à celle des athlètes olympiens qui s’apprêtent à défiler dans la capitale. Seul et nu, l’Éphèbe d’Agde nous accueille en majordome au départ de la dernière création du Mucem, Paradis Naturistes. En accord avec la mission qu’elle s’est attribuée, la maison méditerranéenne se place à nouveau à l’avant-garde des interrogations sociales, en consacrant sa fin d’année 2024 à la thématique du naturisme.

Véritable pied-à-terre des questions de sociétés qui traversent notre époque, le Mucem donne l’opportunité à six commissaires de s’emparer de la question de la nudité, ainsi que de la substance fédératrice que le naturisme lui permet de transmettre.

Avec quatre millions d’estivants réguliers à l’année, la France endosse le maillot de première destination naturiste du monde, et se devait, ne serait-ce que par franchise anthropologique, de reconnaître cette pratique à sa juste valeur et de lui consacrer, en exclusivité nationale, une exposition dans un musée de société.

L’exposition propose de porter le regard sur le monde caché de la vie à nu, de saisir l’envergure de cette entreprise du retour à la nature, mais surtout, comme le rappelle Pierre-Olivier Costa, le directeur du musée, d’initier un repositionnement face à au corps, à l’image et à l’altérité. Loin du parcours initiatique, les trois étapes de l’exposition forment le squelette d’une introduction distanciée au monde du naturisme. Arborant clairement ses ambitions de médiatisation de la nudité, l’exposition s’ouvre sur un mur de magazines et de revue naturistes du XXe siècle. C’est dans ces magazines que la première génération de naturistes, une élite financière et intellectuelle des années 1920, découvre les bienfaits de ce qu’on appelait à l’époque la « cure d’air », et les vertus de la nature sur le corps nu. Répondant à l’appel du dogme hygiéniste, et profitant sans le savoir d’un glissement de la marge d’appréciation des mœurs, les premiers naturistes des années folles investissent plages et stations balnéaires pour faire respirer au grand air leur épiderme. Au même moment en Allemagne, la Freikörperkultur, littéralement la culture du corps libre, commence à extraire le naturisme des carcans du monde médical afin de le rapprocher d’une conception plus philosophique de la nudité, qui intègre dans son raisonnement l’ouverture vers le grand public. D’une cure médicale destinée aux corps athlétiques de l’aristocratie, le naturisme devient, au milieu des années 1920, le bourgeon d’une nouvelle philosophie de vie qui imbibera, en secret, les sociétés européennes jusqu’à nos jours. C’est cette popularisation du naturisme, au sens premier du terme, que Paradis Naturistes entend documenter au cours des salles de l’exposition. Plus de cent prêteurs se sont relayés pour mettre sur pied un petit trésor de photographies d’archives, d’images, de peintures, ainsi que de vidéos d’époque pour illustrer l’évolution de la communauté naturiste au fil des décennies.

Véritable cartographie de la vie nue en France, l’exposition invite à voyager en images à travers cinq communautés naturistes françaises réparties entre l’île du Levant, Montalivet et le Cap d’Agde, dont est originaire notre éphèbe. Construites dans l’intimité et le secret, ces communautés sont tout d’abord condamnées à l’isolement pour ne pas tomber sous le coup de la loi qui condamne les « outrages publics à la pudeur ». Alors, les photographies de Paradis Naturistes deviennent des images de l’invisible, et révèlent dans une teinte feutrée l’existence tranquille de ces communautés naturistes. On peut y découvrir des scènes de mariage, de discussion, de villégiature dénudée, et même des scènes de plongée sous-marine uniques pour leur temps.

Au fil de notre déambulation dans les salles de l’exposition, notre regard s’acclimate à cette nudité brute qui pouvait brusquer à l’entrée de la salle, notre œil se fond dans cet environnement du corps, et nous entamons presque un travail interrogatif sur notre place face à ces images. Car en définitive, c’est une réflexion sur le regard qu’impose Paradis Naturistes, presque une injonction à changer notre vision de la norme, par le biais de la mise à nu. Comme l’explique David Lorenté, l’un des commissaires de l’exposition, « quand on est nu, on ne sait pas qui est lavocat, qui est le camionneur, qui est le riche et qui est le pauvre. » La réalité du naturisme fait de ses adeptes des personnes qui sortent volontairement de la codification des sociétés contemporaines, dans le but d’effacer les distinctions sociales et de vivre une vie loin des stigmates et des questions de bienséance. Et c’est un peu ce que nous retirons de cette exposition vivante : le corps est un instrument d’ajustement des regards, il est l’outil qui permet d’agir, d’investir l’espace pour brutaliser l’œil endormi par les conventions sociales, et de ce fait renverser les états d’esprit.

Ainsi, l’exposition ne pouvait pas mieux se clôturer qu’avec un volet entièrement dédié au militantisme du corps. À l’issue de ce parcours, des affiches représentant la lutte des Femen seins nus, mais aussi des photographies naturistes dénonçant le « body shaming » systématique qui blesse celles et ceux dont le corps sort d’une nomenclature absurde, nous permettent de clôturer Paradis Naturistes avec un œil neuf. Et même si l’exposition n’ambitionne pas convertir au naturisme les milliers de visiteurs qui la traverseront, il faut avouer qu’en sortant, nous avons déjà fait un premier pas dans la philosophie du corps nu, dans une pensée de symbiose entre corps et nature. Ainsi, le pari du Mucem semble réussi. Le musée parvient à faire de la culture un vecteur d’alternative, à vulgariser les manières d’exister, mais surtout et à faire la part belle aux minorités agissantes qui les font vivre.

 

Paul Cayre

 

Paradis Naturistes : jusqu’au 9/12 au Mucem (Esplanade du J4, Marseille 2e).

Rens. : www.mucem.org