ActOral : l’interview de Hubert Colas
L’Interview
Hubert Colas
Le co-directeur et fondateur vivace d’ActOral fait le point avec nous sur LE festival des écritures contemporaines à Marseille.
Comment construis-tu la programmation d’ActOral ?
C’est une question d’écoute, une question sensible, de voir comment les artistes s’expriment quand je les rencontre, de voir comment ils expriment leur complexité dans leur art. En France ou à l’étranger, des artistes me parlent d’autres artistes, j’écoute tout ça. Au fur et à mesure, je rencontre, je lis, et puis il y a un point où je me dis que c’est cet artiste-là qu’il faut inviter maintenant, que dans son parcours, ça paraît juste, essentiel. C’est intuitif.
Tu dis que cela fait sens, mais qu’il n’y a pas de thématique…
Surtout pas ! La thématique doit être celle de l’artiste, sinon elle l’enferme. Il faut écouter ce que font, ce que disent les artistes aujourd’hui, il ne faut pas leur proposer de thème pour voir comment ils réagissent, mais plutôt voir comment ils se préparent, chaque mois, pendant l’année, et savoir reconnaître quand c’est opportun.
Quelles sont tes ambitions pour les écritures contemporaines à Marseille ?
Ma première ambition est de faire découvrir au public marseillais des artistes qui, hélas, ne viennent pas souvent ici. Proposer un temps fort pour une création contemporaine, qui n’est pas très bien représentée dans notre ville, où existe une frilosité, car on pense que le contemporain est quelque chose d’élitaire, de difficile, de « pas proche des gens ». ActOral essaie de prouver le contraire. En présentant ces formes-là, on fait évoluer le regard des gens, et c’est important de le faire.
On voit bien qu’il y a des fidélités au fil des éditions, et on voit toujours aussi des noms d’artistes émergents. Est-ce que cela te tient particulièrement à cœur de mettre le pied à l’étrier à une nouvelle garde littéraire ?
Il n’y a pas de hiérarchie entre un jeune talent et un talent confirmé. A un moment donné, un jeune talent peut me bousculer tout autant que quelqu’un qui a passé des années à faire son travail. Je regarde l’ensemble de tout ça. Ça m’étonne qu’un jeune de 25 ans ait une pertinence artistique forte et qu’il puisse me dérouter par son appréhension de la littérature. Même si son discours n’est pas encore formé, le plus saisissant est dans l’expression qu’il nous donne. ActOral n’a aucun thème, aucun quota, et dispose aujourd’hui d’une liberté d’expression totale.
Après Christophe Fiat, Chloé Delaume, c’est au tour de Thomas Clerc de parrainer cette édition. Quel est le sens du parrainage ?
Il n’y a pas de rôle précis, mais qui s’invente au cours des rencontres, de l’événement. Il n’y a pas d’obligation, si ce n’est celle de rencontrer le public un peu plus que les autres, ce qui se fait d’autant plus selon les personnalités de chacun. Mais ce qui est important pour nous, c’est que le parrain connaît l’édition, il est en affinité avec, il est au courant tout au long de sa construction, il vient plusieurs fois, et il y a des dialogues qui se créent. La caractéristique de Thomas, c’est que c’était un grand ami d’Edouard Levé. Ça a créé un lien d’évidence.
Justement, parle-nous un peu de ce temps fort consacré à Edouard Levé au [mac]…
Edouard Levé est un artiste qu’on avait invité une fois sur ActOral en 2004, et encore dans la programmation annuelle de Montévidéo, pour des lectures d’Autoportrait, de Journal et de Œuvre. J’avais voulu le réinviter ; malheureusement, ce fut l’année de sa disparition.
Je trouve que c’est un artiste emblématique d’ActOral, tant par la forme de littérature que par la composition de certains récits ou la fragmentation du réel, sa réinvention. J’en ai parlé à Thierry Ollat, (NDLR : directeur du [mac]) qui s’est emballé pour l’idée d’une exposition plus complète. On a donc composé ces trois nocturnes en invitant ses amis (NDLR : Thomas Clerc, Arnaud Labelle-Rojoux, Valérie Mréjen), sans commémoration, ni mausolée, mais pour témoigner de comment cet homme était en adéquation avec des formes artistiques très contemporaines des années du millénaire.
Que devient Montévidéo par rapport à ActOral ?
On rouvre partiellement cette année le rez-de-chaussée, c’est-à-dire le studio musique du GRIM dans lequel nous allons pouvoir donner quelques lectures et des petites formes comme celle de Clara Le Picard ou Arnaud Saury. Mais nous n’avons pas encore l’autorisation d’ouvrir la totalité du bâtiment, car il ne remplit pas les normes de sécurité. C’est dommage pour le festival, car ce lieu est extrêmement important pour les artistes et le public : c’est le lieu où tous se retrouvaient pour se rencontrer, pour abattre les cloisons entre l’artiste et le public, et entre les artistes eux-mêmes. Ce lieu fédérateur nous manque, et c’est quand même triste qu’à quelques mois de 2013, il risque la fermeture — au moment où Marseille va devenir Capitale Européenne de la Culture.
Que ne doit-on surtout pas rater sur ActOral.12 ?
Tout ce qui va se passer entre le 25 septembre et le 13 octobre ! (Rires) A défaut d’être exhaustif, me semblent particulièrement importants l’aboutissement du compagnonnage avec la jeune compagnie Das Plateau, la présence de Thomas Clerc tout au long du festival, le temps fort Edouard Levé, la collaboration avec le KLAP sur l’accueil de Mathilde Monnier, le jeune collectif IRMAR, Andros Zins Browne, Antonja Livingstone, Jonathan Capdevielle… Cette année, j’ai la sensation que les artistes invités sont dans une vague, dans un mouvement fort. On est dans une époque où l’on a envie que ça change, où l’on sent que, face à un certain nombre d’adversités, l’art est essentiel.
Je dirais qu’ils sont vivants, actifs, guerriers, désireux ; ils veulent marquer quelque chose face à une adversité qui nous ensevelit, contre la montée des extrémismes, contre la pudibonderie, et même en France. En ce moment, il y a quelque chose d’extrêmement violent, c’est l’intolérance des gens. Avant, les gens acceptaient le bruit des autres, c’est-à-dire la vie des autres, leur complémentarité, leur quotidien, les fêtes du quotidien, les joies du quotidien. Les politiques capitalistes et néo-libéralistes font que les gens ne cultivent que leur propre terrain et aboient dès que quelque chose de l’autre paraît. Je pense que les artistes aujourd’hui ont envie de réagir face à ça.
Propos recueillis par Joanna Selvidès
ActOral.12 : du 25/09 au 13/10 à Marseille. Rens. 04 91 37 14 04 / www.actoral.org