Le Pressentiment – (France – 1h40) Un film de Jean-Pierre Darroussin, avec Jean-Pierre Darroussin, Valérie Stroh…
Le film d’acteur est en passe de devenir un genre à lui seul, ce qui ne serait pas forcément embarrassant si leur valeur n’était pas inversement proportionnelle à la notoriété de leur créateur. Ainsi, pour quelques confidentielles… (lire la suite)
L’art du glissement
Le film d’acteur est en passe de devenir un genre à lui seul, ce qui ne serait pas forcément embarrassant si leur valeur n’était pas inversement proportionnelle à la notoriété de leur créateur. Ainsi, pour quelques confidentielles réussites comme l’œuvre de Gérard Blain ou le récent film d’Eric Caravaca, combien compte-t-on de piteux essais (Vincent Pérez, Sophie Marceau, Gérard Depardieu et consorts) ? Beaucoup, assurément, mais il faut pourtant bien qu’il y ait une exception, histoire de confirmer la règle et de rassurer un peu les minorités silencieuses. C’est le cas du premier film de Jean-Pierre Darroussin qui, avec Le Pressentiment, nous livre sans doute l’une des œuvres les plus surprenantes de ce morne début d’automne. Adapté du roman éponyme d’Emmanuel Bove, il met en scène le retrait progressif d’un grand bourgeois rompant subitement avec sa classe. Voilà donc un film lisse, épuré, qui ne s’appuie sur rien d’autre que le sentiment ténu d’une évaporation progressive, d’un dépouillement sans fin. Derrière la nonchalance littéraire de son récit (quelques rares effets de voix-off), Darroussin cache donc bien son jeu. La construction tendue, intense et presque angoissante de chaque séquence est là pour nous rappeler que quelque chose d’insaisissable se joue derrière l’apparente évidence des images. Même le jeu des acteurs confine à l’atonie, à la discrétion tant chaque geste, chaque parole est désamorcée par l’imminence d’un désastre silencieux. Dans ce jeu de chat et de la souris, ce subtil glissement du calme vers l’effroi et le soupçon, Darroussin fait preuve d’une rare maîtrise, d’un talent inestimable. Talent d’acteur évidemment (avec une mention spéciale au génial quoique trop rare Hyppolite Girardot), mais surtout talent d’un cinéaste en quête permanente de la bonne distance. Cette qualité qui se perd, la modestie, Darroussin en a fait sa marque de fabrique ; pourvu que ce pressentiment se confirme.
Romain Carlioz