Import-Export

Import-Export

L’artiste camérounais Barthélémy Toguo transforme son expérience de l’exil en combat à l’encontre des frontières mentales, en exposant à la fois dessins et aquarelles aux Ateliers d’Artistes et un parcours retraçant ses performances au FRAC. Une dénonciation systématique de sujets politiques qui se voit parfois plombée par sa lourdeur métaphorique… (lire la suite)

L’artiste camérounais Barthélémy Toguo transforme son expérience de l’exil en combat à l’encontre des frontières mentales, en exposant à la fois dessins et aquarelles aux Ateliers d’Artistes et un parcours retraçant ses performances au FRAC. Une dénonciation systématique de sujets politiques qui se voit parfois plombée par sa lourdeur métaphorique.

« A une époque où je transitais souvent par l’aéroport de Roissy, la police me fouillait systématiquement. Un délit de faciès qui me fait constamment perdre du temps. Une présomption de délinquance qui pourrait finir par me dissuader de quitter le territoire français, voire de circuler. Soit la condition quotidienne d’un ressortissant du Cameroun au pays des droits de l’homme. » Partant de ce constat, Barthélémy Toguo décide de démonter la paranoïa occidentale en recourant aux clichés et aux codes de la discrimination : il essaie de traverser les douanes avec des valises en bois ou une cartouchière remplie de carambars, utilisant les lieux de transit, gares et aéroports, pour des actions dont il ne reste pas d’enregistrements. « Si la communauté ne reconnaît pas les qualités qui me constituent en tant que sujet, si elle m’en attribue d’autres qui ne relèvent que de son fantasme de me voir partir, alors je ne suis plus visible. » Dépassant la simple critique des politiques d’immigration, il met à l’épreuve la notion même de frontière. Son nomadisme (des études d’art à Abidjan, Grenoble et Düsseldorf) est devenu un outil permettant d’examiner les frontières mentales. Ainsi de son action réalisée à la frontière du Cameroun et du Gabon (tracée sans tenir compte des territoires ethniques) où, après avoir incarné la figure d’un sorcier, il est reconduit à la frontière, se confrontant à la non reconnaissance par les autorités des pratiques de sorcellerie. Cette action est présentée au FRAC à côté de photos et de vidéos qui gardent la trace de ses autres performances. Dès l’entrée, un ring de boxe recouvert de morceaux de briques et de parpaings répond à la cinquantaine de drapeaux africains étendus comme du linge au-dessus de la cour de ce couvent au Panier. In Despair cherche à évoquer la situation actuelle de l’Afrique, divisée par des luttes fratricides, « la corruption et des dictateurs asphyxiants soutenus par l’Occident. » Toujours dans l’optique de perturber les clivages entre monde « occidental » et monde « non occidental » (une définition établie par exclusion), il a réalisé une sculpture en bois, rappelant l’art traditionnel africain, transformée en tampon géant pour certifier les cartes de séjour, matérialisant la lourdeur des barrières administratives. Aux Ateliers d’Artistes, il recouvre le sol de cartons d’emballage, matériau qui renvoie aux relations entre le Nord et le Sud, entre l’import de produits et l’export des personnes. « Mes travaux et moi assumons la même condition que ces produits soumis à l’exil. » A côté, il expose ses aquarelles et dessins aux traits sinueux, esquissant « des corps inachevés, amputés, aux gestes laissés en suspens de peur d’en signer une beauté définitive. » Toguo cherche à défier la politique disciplinée des corps à travers la folie ou l’expression sexuelle, dans une mutation entre l’humain, l’animal et le végétal. L’ensemble de son travail présente néanmoins le danger de confisquer la puissance de l’art à un catalogue de causes sociales, enchaînant les métaphores sur les sujets politiques : l’empire américain, la pénurie de l’eau, le clonage, le terrorisme, le sida, la pédophilie, la torture dans les prisons turques, la circoncision, l’exploitation des ressources naturelles… Ceci dit, Toguo n’écarte pas l’idée d’une certaine efficacité, liée à son engagement sur le terrain : « En tant qu’artiste, je dois provoquer des choses jusqu’à les concrétiser, comme le projet en cours de construction d’un centre d’art au Cameroun. Mon rôle d’artiste va de la représentation plastique jusqu’aux actes. »

Texte : Pedro Morais
Photo : Jean-Christophe Lett

La magie du souffle, jusqu’au 17/11 aux Ateliers d’artistes de la ville de Marseille. Wildcat’s Dinner, jusqu’au 16/12 au FRAC PACA.

No future
La collaboration entre le FRAC et les Ateliers d’Artistes est pratiquement inédite, les deux structures dépendant de bords politiques différents (respectivement la Région, à gauche, et la Ville, à droite). La situation des Ateliers semble s’engouffrer dans une crise entamée en 2003, suite à la perte du statut associatif pour intégrer la régie municipale. Thierry Ollat, l’actuel directeur du Musée d’Art Contemporain, cumule ainsi, pour l’instant, la direction des deux lieux. A la grande surprise des acteurs de l’art contemporain, Philippe Bérard, actuellement en charge du cinéma des musées (Le Miroir), sera le prochain responsable des Ateliers. D’une part, cette nomination signifie, à mots couverts, la fin des programmations dudit cinéma, domaine dans lequel Bérard était jusqu’ici reconnu. D’autre part, la Ville semble encore dessiner une politique culturelle sans ambition et sans projet. Les Ateliers avaient le potentiel d’un centre d’art (résidences d’artistes, édition de catalogues, production d’expositions, échanges internationaux), mais la municipalité paraît en avoir décidé autrement avec une nomination sans appel à candidature, renforçant l’idée d’une mairie qui joue aux chaises musicales.