Un vent d’audace souffle en ce moment sur la scène du Gymnase, où James Thiérrée et sa troupe présentent La Veillée des abysses. La possibilité de (re)découvrir jusqu’à samedi une performance somptueuse… (lire la suite)
Un vent d’audace souffle en ce moment sur la scène du Gymnase, où James Thiérrée et sa troupe présentent La Veillée des abysses. La possibilité de (re)découvrir jusqu’à samedi une performance somptueuse.
Dès les premières secondes de la représentation, la salle — comble — bascule complètement sous le charme de la magie des images, de la densité de la fantaisie. Il y a un lien particulièrement fort entre cette Veillée des abysses et les rêves d’enfance. Un je-ne-sais-quoi de nostalgique qui nous transporte avec grâce. Nous retombons en enfance pendant cette parenthèse enchantée, qu’on aimerait éternelle. Une tempête blanche : six personnages valsent, désorientés par son sillon. Ils s’échouent quelque part, renversés. Ils ont basculé, comme l’Alice de Lewis Carroll, de l’autre côté, dans un ailleurs sans repères. Ils vont devoir vivre dans le monde des canapés dévoreurs d’êtres humains, dans un capharnaüm aux trajectoires formidables. Les contorsions ne concernent plus seulement les artistes, elles contaminent aussi les objets et le réel. Sans avoir forcément de lien apparent, chacune des saynètes construit un univers où déformer la logique est automatique. Peter Pan n’est plus tout seul à s’envoler sur une scène de théâtre… Les étoiles sont à gauche, à droite, partout. Elles brillent dans nos yeux, scintillent sur des décors vacillants. L’interaction entre les espaces et les divagations des acteurs s’avère admirable : acrobates et pianistes ne laissent jamais de place au vide. Ils font corps avec les planches, escaladant des surréalismes magistraux. Ils n’ont pas leur pareil pour métamorphoser des coins insolites en recoins clownesques, pour troquer leur panoplie de voyageurs de l’élégance contre celle de mimes philosophes. En témoignent les extraordinaires passages avec le singulier Niklas Ek, dont l’impassibilité rend un hommage évident aux fantastiques comédiens du cinéma muet. Une révérence discrète que James Thiérrée rend à son grand-père, l’inégalable Charlie Chaplin, figure tutélaire de cette Veillée des abysses. A n’en pas douter, l’imaginaire sans fin de ce spectacle, ses envolées réjouissantes de burlesque imprègneront longtemps les esprits en quête d’instants verticaux, qui bousculent un peu nos habitudes. Ici, on nous donne un ticket pour marcher sur un conte. On nous pousse à rêvasser, on nous emmène vers des navires impossibles… Une pur moment de ravissement. Il n’y a pas de superlatif assez fort pour décrire ces abysses, trop profondes, débordantes, de l’invisible. Ce maelström d’impressions folles, ce sublime surréalisme prouvent simplement que les mirages existent. Et avouons qu’y croire, pour une fois, est un immense plaisir.
Texte : Lionel Vicari
Photo : Richard Haughton
Jusqu’au 21/10 au Théâtre du Gymnase. Rens. 0 820 000 422