Beaucoup de bruit pour rien par la Cie 26 000 Couverts au Théâtre des Salins
Beaucoup de couverts pour lien
Depuis plus d’une quinzaine d’années, la compagnie 26 000 Couverts sillonne les routes avec son camion « biz-art » pour mieux revisiter l’actualité du théâtre, du classique au contemporain, et réciproquement. A table !
Comédie classique de William Shakespeare, Beaucoup de bruit pour rien pourrait rebuter plus d’un amateur de théâtre contemporain. Mais quand c’est la compagnie dijonnaise qui s’y colle, le dîner théâtral se révèle presque parfait. De fait, à de rares (vieux) réfractaires près, et malgré quelques moments surjoués, les spectateurs peuvent alors se repaître d’un menu artistique plein de surprises et de loufoqueries. Résumons d’ailleurs l’histoire de cette pièce dans l’esprit faussement foutraque de la troupe bourguignonne. Pour saboter le mariage de Héro (c’est une femme) et Claudio (il est italien), Don Juan (le fameux) fait croire que la première est infidèle au second. Son objectif est vraisemblablement d’énerver son frère Don Pedro, ami de Léonato, dont la nièce Béatrice connaît bien Bénédict (c’est un homme), l’ami de Claudio. Grâce à un prêtre malin (ou lubrique, selon les metteurs en scène), tout va bien se terminer. Sur le plateau, les comédiens vont et viennent, parés d’atours traversant les siècles et jouant de multiples instruments de musique, pour mieux surprendre des spectateurs amusés. Derrière le comique de la mise en scène se cachent des considérations bien sérieuses qui ont motivé l’adaptation de Philippe Nicolle. A l’heure où certaines compagnies cherchent à entrer dans des cases de formalisme pour appâter les subventions, où les acteurs du spectacle vivant manifestent avec de moins en moins d’intermittence, où la corde de l’offre culturelle se tend aux extrémités entre un théâtre élitiste et un divertissement abrutissant, le rôle et l’utilité du théâtre sont questionnés. Un besoin émerge alors, celui de secouer le spectateur, de le placer là où il n’attend pas les artistes. Ce qui n’empêche pas les rappels réguliers à ce qu’était le théâtre à l’origine. Mais une fois mis les 26 000 couverts, comme autant d’interprétations et d’émotions individuelles face à une pièce, il faut bien manger et digérer. Artistes et techniciens nous préparent certes un succulent repas, mais c’est au spectateur de travailler pour mieux se régaler ensuite.
Guillaume Arias