Le cœur du problème
Marseille change. Très vite. Comme le veulent les Marseillais ? Comme j’avais du temps pour aller au concert, je me suis décidé à y aller à pied par l’avenue de la République. Les travaux avancent pas mal, d’ailleurs, presque finis… Partout des affiches roses qui annoncent le propriétaire américain de la rue. Ici, la ville recherche des franchises « pour élever le taux de luxe du quartier », histoire de répondre à une demande des touristes démunis. Il faut dire qu’entre le Centre Bourse, les Terrasses du Port (13 000 m2 en 2009) et la gare Saint Charles (3 000 m2 en 2007), c’est vrai qu’il y a comme un trou commercial qui fait flipper. La belle ambition annoncée : « quelque chose entre Saint Ferréol et la rue de Rome ». En suivant la ligne de tramway qui est le symbole de ce renouveau, j’ai continué à m’interroger sur l’intérêt de ces transformations : de la Blancarde à Euromed, de Noailles aux Caillols, ce dépensier gadget marketing ne sert en rien la communauté, qui a pourtant d’énormes problèmes de transport. C’est tendance mais… Enfin, c’est en arrivant à la Belle de Mai, destination finale, que l’agression a été la plus violente. De l’autre coté de la ligne SNCF, c’est la boucherie : on rase gratis. Pour faire des espaces verts immenses, des crèches, des équipements de sports et épauler un commerce local vivace qui restera toujours le meilleur lien social… Non, je blague : on construit de très hauts (sept étages) immeubles. Car tous ces liftings sont dirigés vers un seul dessein : faire flamber l’immobilier du centre ville, et le vendre à un paquet de nouveaux blancs prêts à payer plein pot. Plutôt que d’enrichir ta ville, mets y des riches… Plus de quartiers, mais une vitrine de chaînes commerciales sans plus aucune vie, qui rapportera à tous ceux qui sont dans la combine. Qui ? Pas des gens qui habitent Marseille, cette ville qui pue. Une aubaine énorme : le hold-up du siècle !!! L’entourage franc-maçon de la Mairie, qui est au pouvoir depuis 1995, y pense fiévreusement depuis bien plus longtemps. Evidemment, cette réflexion vous paraît bien naïve. Comme tout citoyen français, nous nous sommes fait une raison : ce qui se passe dans notre ville, dans notre région, nous n’en sommes que spectateurs. Et puis, pour les plus avisés et les plus malins, il y a moyen de passer de l’autre coté de la barrière et d’en récupérer un petit bout, alors…Tout se passe ici comme dans ces pays fraîchement développés, dirigés par une clique banquière étrangère : après l’énorme taloche[1] UMP sur la proche banlieue parisienne, c’est notre tour. Point. C’est également ce genre de pensées qui devait occuper la centaine de personnes que j’ai croisées, rassemblées, en passant devant le Comptoir la Victorine. De la même façon que personne ne s’est réellement ému de la disparition de l’Usine Corot, les étrangers — même voisins — n’avaient pas l’air concernés par la vente de ce bâtiment du XIXe à Kaufmann and Broad, « l’un des premiers constructeurs, développeurs de logement en France ». En demandant à des habitants de la Butte Bellevue s’il n’était pas dommage que disparaisse ce lieu qui regroupe entreprises, associations et compagnies artistiques[2], on me répondit que « si, mais bon… » — signe d’impuissance. Les Français sont mûrs : on peut tout leur faire et ils n’aspirent plus, depuis longtemps, à décider. Chose impensable dans toute l’Europe non méditerranéenne, aux USA, en Australie, etc. : nous avons accepté d’être envahis par les affiches publicitaires, les centres commerciaux, les immeubles plus hauts que des arbres et la disparition d’une vie commerciale de quartier. Le développement de la plupart des villes de France s’est effectué dans l’intérêt du plus fort — conseil d’administration des entreprises — et non des plus nombreux — les habitants. La chanson qui accompagne cette monstruosité qui mène chacun à vivre dans des conditions qu’il n’a pas choisies, vous la connaissez : « le plus important, c’est l’emploi et seule la richesse peut en procurer ». Grotesque. Comment en est-on arrivé là ? Tout simplement en ne soumettant pas chaque décision importante au vote du citoyen. Du même coup, on supprime le débat, donc à terme, l’intérêt. A l’extrême opposé, les municipalités françaises, pendant six ans, agissent sans aucun contre-pouvoir : le scrutin est tel que dans tous les scénarios possibles, un seul parti possède la majorité. Les conseils municipaux ? Un simulacre arrogant où tout est décidé d’avance. Allez-y, c’est gratuit. Elections, pièges à cons ? Ben non justement. Mais ici, c’est garanti.
Texte : Emmanuel Germond
Photo : Damien Boeuf