Comment c’était (quand on m’a raconté comment c’était) ?
La photographe Manon Avram se souvient de ses grands-parents qui se souviennent, de Marseille. Que faire de ce récit ? Comment nous le montrer ? (lire la suite)
La photographe Manon Avram se souvient de ses grands-parents qui se souviennent, de Marseille. Que faire de ce récit ? Comment nous le montrer ?
Il faut descendre l’étroite rue Benoît Malon et traverser un quartier étonnant : au cœur de la rue Sainte Marie, un atelier-galerie ne cherche pas à rivaliser avec la dernière tendance basée sur un bricolage ou un jeu de mot. Vol de Nuit nous rappelle juste son métier. Photographe : celui qui enregistre des images pour aider à se souvenir. Un incitateur qui guide l’imagination à partir d’un moment passé. On s’arrête devant sa vitrine et l’on dit : « Tu te souviens ?». L’autre dit invariablement « oui », même si chacun est envahi par un rêve bien distinct qu’il aurait du mal à traduire. C’est donc naturellement que la galerie a proposé à quelques artistes de raconter ce qu’ils ont entendu du quartier, histoire d’arrêter les habitants et de les faire vibrer au contact de cet écho. Première à s’y coller, Manon Avram rapporte l’histoire de ses grands-parents : l’arrivée à Marseille, à quoi ressemblait la ville, les anecdotes, la guerre aussi… Qu’est ce qu’il en reste ? Les photos de Marseille que les grands-parents ont sorties pour illustrer. Et les paroles qui tanguent dans sa tête : « … Alors, c’était un jour de 1940 et… et cette histoire de ticket de pain, tu te souviens pas… non… en ce temps-là, y’avait les deux zones… dynamiter le transbordeur… » Si on peut facilement montrer des photos, on conserve difficilement un récit, à moins de l’enregistrer. Souvent, on s’en souvient seulement à peu près, et puis on le raconte à quelqu’un d’autre. Ces souvenirs peuvent-ils exister pour nous qui n’y étions pas ? Pouvons-nous en parler comme si nous l’avions vécu, uniquement parce que l’on en a vu des photos ? Devant les questions qui l’ont envahi en se frottant au thème proposé — la rumeur/le quartier —, Marion Avram a décidé de se plonger un peu plus dans cette Histoire qui n’était pour l’instant qu’une histoire. Retourner sur les lieux, en coup de vent : Roumanie, camps de la mort, Pologne…. Prendre des photos et les poser à côté de celles qui sont datées. Certaines se ressemblent, d’autres ne font qu’une mais nous ne sommes pas plus avancés. A part que cet évènement nous est bien arrivé, et qu’il nous lie au passé. Que l’on peut s’en souvenir. Et le raconter.
Emmanuel Germond
Jusqu’au 22/12 à Vol de Nuits (6 rue Sainte, 5e). Rens. 04 91 47 94 58 / http://www.voldenuits.com